Prix d’un coup de pied dans le …

—  Vive la République ! nom de D…, criait le 5 juin à sept heures du soir, le sieur Tailleur
dont la double gibbosité offre le type le plus complet du véritable Mayeux.

Un de ses voisins , le sieur P…, cherchant à calmer son effervescence et à lui faire comprendre qu’en de pareils moments il était du devoir de tout bon citoyen de modérer les passions au lieu de les irriter, l’avait engagé à rentrer chez lui. mais le sieur Tailleur loin de tenir compte de ces sages avis s’était écrié avec plus de fureur :

—  Ah ! vous êtes philippiste ! s’il en est ainsi vous n’avez pas longtemps à vivre, et demain vous aurez de mes nouvelles ! Tonnerre de D…

Le sieur P… exaspéré à son tour d’une telle menace, et ne songeant pas à en attendre l’effet, avait dans sa colère exprimé du pied au sieur Tailleur tout ce qu’elle avait d’inconvenant en cet instant de trouble.

Par suite de ce conflit le sieur Tailleur, qui se prétend atteint d’une maladie mortelle dont les mauvais traitements du sieur P… auraient selon lui développé les symptômes, avait assigné ce dernier en dix mille francs de dommages-intérêts pour réparation de son honneur et de son dos offensés.

A l’audience, M. P… convenait que, poussé à bout par les propos incendiaires du sieur Tailleur, il avait cru de son devoir, en cette circonstance, de le contraindre à toute force au silence, puisqu’il avait échoué par la voie de persuasion. Seulement il soutenait n’avoir atteint le sieur Tailleur qu’à la partie inférieure du dos , tandis que celui-ci prétendait avoir été frappé par devant. Quoiqu’il en soit, il était certain qu’un simple coup de pied n’avait pu faire empirer l’anévrisme du sieur Tailleur.

Le tribunal, ayant égard aux provocations du plaignant, et pensant avec raison qu’un coup de pied dans le dos même du meilleur citoyen possible ne saurait se payer 10,000 francs, a condamné seulement le sieur P… à 5 francs d’amende.

« Le voleur. »  Paris, 1833.