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Les anecdotes
13 janvier 2022

Grandeur et décadence du plum-pudding

plum-pudding

Le plum-pudding est le mets national de l’Angleterre. Si j’entreprends d’en écrire l’histoire, c’est parce que je le vois, non pas près de disparaître de la table qu’il illustra pendant des siècles, mais menacé d’une lutte avec une fantaisie chinoise : le nid d’hirondelle. Je ne sais s’il sera facile de rayer de la bible gastronomique anglaise le plum-pudding qui est véritablement de naissance épique : il vint aux brouillards et à la mode après une rude partie de chasse sous le roi de Kent, Ethelbert (Æthelberht), avant la fondation de l’Heptarchie.

C’était par une de ces chaleurs lourdes, comme on en sent parfois sur les bords de la Tamise, et le prince donnait une fête à ses gens d’armes. Egarés, après avoir erré longtemps par les bruyères arides, dans une forêt profonde, et manquant de vivres, les voyageurs tombèrent de fatigue, en attendant que le ciel leur envoyât la manne. La légende ne dit pas qu’elle tomba; ce qu’elle rapporte, et ce qu’il faut croire, c’est qu’un grand seigneur de la cour, dont l’histoire a perdu le nom, alla cueillir dans les taillis une grande quantité de prunelles (wild-plum or sloe) en tira les noyaux et les mit en pâte, ayant soin d’imbiber sa farine de circonstance avec quelques gourdées de vin, qui restaient des provisions de la royale caravane. Puis il chercha  quelques brindilles de bouleau, alluma un feu superbe, et le pâté fut servi deux heures après, à Sa Majesté et à ses gens d’armes. Ethelbert en prit une tranche, et, malgré la saveur acide du gâteau, il la dévora. Tous les chasseurs l’imitèrent : depuis, le roi en voulut tous les jours à sa table, et le plum-pudding se popularisa, se nationalisa comme la pomme de terre après le souper de Versailles.

ethelbert

Ethelbert

Cependant il perdit quelque chose de son prestige auprès de l’estomac britannique sous le règne de la reine Anne, qui se trouva très indisposée, un jour, après en avoir mangé, ce qui fit croire à un empoisonnement. La décadence du plum-pudding ne fut qu’un éclair. Le confortable anglais le remit bientôt dans le menu de la table, et lui fit subir toutes les améliorations qui ont illustré la pâtisserie et la gastronomie Le plum-pudding n’est pas un dessert, c’est un mets; en voici d’ailleurs la vraie recette, que je livre aux méditations des physiologistes et à tous ceux qui s’occupent de la science des tempéraments : prunes de reine Claude, madère, raisin de Corinthe, cannelle de Madras, saindoux, mie de pain, graine de coriandre, ale et porter. De tous ces éléments hétérogènes vous faites une pâte consistante que vous enveloppez dans une serviette et que vous faites bouillir, pendant six heures, dans une poêle remplie de vin de Madère. Quand la liqueur a été bue par le pâté, vous avez le mets national dans son arôme le plus exquis et le plus tonique.

Le plum-pudding fait le réveillon de l’Angleterre. Il n’est pas rare de voir l’ouvrier mettre au mont de piété la crinoline de sa femme pour se procurer ce mets aristocratique, qui n’appartenait autrefois qu’aux princes et à la noblesse. Si on manquait une année à faire le plum-pudding, on ne serait plus Saxon. Aussi, aujourd’hui, malgré la lutte qu’il engage avec le nid d’hirondelles, le retrouve-t-on dans le menu de toutes les fantaisies de tous ces positifs, des whigs, des tories, des ultramontains et des républicains de l’Angleterre.

On le sert tous les jours sur la table de Victor Hugo, et si l’exemple de l’illustre écrivain devait lui donner droit de cité auprès de la littérature française, je conseillerais de ne pas y mettre beaucoup de cannelle de Madras.

Armand Lebailly.

« Almanach des gourmand. » Paris, 1862.
Peinture de Joseph Clark.

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