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Les anecdotes
5 janvier 2023

La curiosité chez les animaux

souris-chat

La curiosité, si répandue dans l’espèce humaine qu’on peut la considérer comme innée à son caractère, existe manifestement chez les animaux. Il suffit d’examiner ceux-ci pendant un instant pour s’en convaincre et reconnaître que ce sentiment est une preuve d’intelligence de leur part : on ne trouve en effet de bêtes pourvues de ce péché mignon que chez les vertébrés, et plus particulièrement chez les mammifères et les oiseaux, c’est-à-dire les plus élevés d’entre eux en organisation et en mentalité.

Regardez, par exemple, un troupeau de chèvres passant dans la rue, sous la conduite d’un chevrier qui siffle mélancoliquement dans sa flûte de Pan rudimentaire. On croirait véritablement une bande de collégiens qu’un rien intéresse et qui ont une tendance à s’arrêter à tout ce qu’ils rencontrent : elles furettent partout, contemplent le moindre bout de papier qui leur tombe sous les yeux, grimpent sur tous les obstacles pour voir ce qu’il se passe derrière. Avec un sans-gêne quelque peu exagéré, elles pénètrent dans les boutiques, à la grande colère des marchandes qui lèvent les bras au ciel. Elles ne peuvent rencontrer un couloir sans s’y introduire et l’on en a même vu grimper les escaliers jusqu’au deuxième ou troisième étage !

A propos de la curiosité de la chèvre, Tschudi raconte une histoire bien amusante. Un Anglais qui se trouvait au Grimsel, s’était assis, non loin de l’auberge, sur un tronc d’arbre, et, absorbé par sa lecture, il s’était assoupi. Un bouc qui se promenait par là le remarque, s’approche curieusement, croit que les mouvements de la tête du dormeur sont une provocation, se met en position, mesure sa distance et se précipite, tête baissée, sur l’infortuné fils de la libre Albion, qui dégringole, jure et agite les jambes en l’air. Le bouc, victorieux, presque effrayé de rencontrer si peu de résistance dans un crâne britannique, mit une des pattes de devant sur le tronc et regarda curieusement sa victime pantelante et hurlante.

Il est assez curieux de remarquer que la curiosité est très développée chez tous les animaux de montagnes,  sans doute par suite des périls qui les menacent sans cesse et qui ont développé en eux l’esprit d’observation. La chèvre sauvage n’est, en effet, pas moins curieuse que la chèvre domestique. De même les chamois; quand on veut s’en emparer — ce qui n’est pas commode — on peut user d’un stratagème très primitif: on dépose sur un rocher un objet inaccoutumé, un mouchoir blanc, par exemple, et l’on se poste à une certaine dislance; les chamois, cependant si prudents en temps ordinaire, finissent par s’en approcher  pour se rendre compte de sa nature; on en profite pour les tirer.

Les singes sont aussi d’un naturel très curieux : ceux qui les élèvent ne le savent que trop, car, pour satisfaire leur passion, ils finissent par tout bouleverser dans la maison. Leur curiosité, souvent, suffit à vaincre leurs sentiments pusillanimes. Brehm a noté, par exemple, que des singes, malgré la très grande peur que les serpents leur inspirent, ne pouvaient résister au désir de soulever le couvercle de la caisse où se trouvait tout un lot de ces reptiles peu sympathiques. « Frappé de cette observation, raconte Darwin de son côté, je portais un serpent empaillé et enroulé dans la cage des singes du Zoological Garden pour voir ce qui se passerait. L’excitation provoquée par ce serpent fut le spectacle le plus étrange auquel il m’ait jamais été donné d’assister. Trois espèces de cercopithèques étaient les plus excités. Ils couraient dans leur cage et poussaient des cris aigus d’avertissement que les autres singes comprenaient. Je mis ensuite le serpent empaillé sur le parquet de l’une des grandes sections; les singes firent un grand cercle autour du serpent et présentèrent un aspect fort drôle par la façon dont, ils regardaient l’intrus. Puis je mis un serpent vivant dans un cornet de papier mal fermé et je le portai dans l’une des grandes sections. L’un des singes s’approcha immédiatement, ouvrit un peu, avec précaution, le cornet, regarda et s’enfuit immédiatement. Puis je fus témoin d’un cas semblable à celui décrit par Brehm. L’un après l’autre, les singes arrivèrent, la tète levée et un peu penchée de côté, et ne purent résister à la tentation de jeter un coup d’œil rapide dans le cornet, au fond duquel l’objet terrible se tenait fort tranquille. »

Beckmann reconnaît aussi comme curieux à l’extrême le raton laveur. Il en avait un en captivité et qui avait  coutume de se chamailler avec un blaireau. Un jour, celui-ci, fatigué de cette obsession, se leva en grognant  et s’en retourna, l’air agacé, dans sa tanière. Mais la chaleur le força bientôt à sortir la tête de son étroite caverne, et ils s’endormit dans cette position. Le raton se rendit immédiatement compte qu’il lui était impossible de montrer à son ami ainsi placé, les attentions dont il était coutumier, et il allait se mettre en route pour retourner chez lui, lorsque le blaireau se réveilla par hasard; il aperçut son bourreau et ouvrit jusqu’aux oreilles sa bouche étroite et rouge. Du coup, le raton fut saisi d’un tel étonnement qu’il se retourna immédiatement pour examiner de tous côtés les blanches rangées de dents du blaireau. Celui-ci se tint immobile et n’en excita que davantage la curiosité du raton qui, rassemblant tout son courage, osa enfin  donner un petit coup de patte de haut en bas sur le bout du museau du blaireau; mais en vain, le blaireau ne bougea pas. Le raton sembla ne rien comprendre à cette transformation dans l’allure de son compagnon; son impatience augmentait à chaque instant, il fallait qu’il en obtint l’explication. Inquiet, il se promena quelque temps, ne pouvant évidemment décider s’il lui fallait se servir de ses pattes si sensibles ou de son nez pour cette investigation. Il se décida enfin pour ce dernier moyen et enfonça brusquement son museau pointu jusqu’au fond de la gueule ouverte du blaireau. Mal lui en prit : d’un coup le blaireau referma ses mâchoires et le raton pris au piège, cria et se débattit comme un malheureux. Après de violents efforts et toutes sortes de bonds, il réussit enfin à délivrer son museau ensanglanté de l’étau impitoyable du blaireau; après quoi, soufflant furieusement, il se sauva à toute vitesse dans sa hutte. Longtemps il garda mémoire de cette leçon et, chaque fois qu’il passait devant la demeure du blaireau, il se passait involontairement la patte  sur le nez.

Les chiens sont aussi un sujet très favorable pour l’étude de la curiosité : ceux qui se promènent dans les rues sont sans cesse à fureter à droite et à gauche et tout objet insolite est pour eux un sujet d’étonnement. Si l’on veut les intriguer fort, il suffit de faire devant eux des bulles de savon. C’est ce que fit Romanes : son chien manifesta un grand intérêt pour ces aérostats minuscules, mais sembla ne pouvoir décider s’ils étaient vivants ou non. Après quelques encouragements, cependant, il vainquit sa méfiance, s’approcha avec précaution et toucha la bulle de savon de sa patte. La bulle creva aussitôt et le chien en fut littéralement ahuri.

Les vaches, cependant si épaisses au point de vue intellectuel, ne manquent pas, lorsqu’un train passe à côté d’elles, d’abandonner leur pâture et de le regarder filer à toute vilesse. Eimer raconte qu’un jour, à Rottum, il dessinait sur son album lorsque des vaches qui paissaient, s’approchèrent de plus en plus, firent le cercle autour de lui et, immobiles, allongèrent le cou et fixèrent leurs grands yeux sur l’album pour voir ce qui s’y passait. Elles s’approchèrent tellement qu’elles finirent par gêner le dessinateur et qu’il dut les chasser de son bâton. Mais toujours elles revinrent pour essayer à nouveau de pénétrer le secret qui, pour elles, consistait à faire sortir un dessin d’un bout de crayon.

Les souris et les rats se font souvent prendre dans les pièges par suite de la curiosité qui les pousse à voir ce  qui se passe à leur intérieur. Quant aux belettes apprivoisées, elles suivent leur maître partout et vont regarder immédiatement dans les armoires, les tiroirs et les boîtes que l’on vient d’ouvrir.

P. A. L. S.

"Le Patriote dans la famille : supplément illustré",  26 juin 1904 

 

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