Haydn et la trompe
Le célèbre Haydn descendit un jour dans l’auberge d’un village, à quelques lieues de Dresde. Il y rencontra une troupe de bons campagnards qui fêtaient gaîment un jubilé. Ils invitèrent Haydn à partager leur repas, ce qu’il accepta sans se faire prier et avec sa cordialité ordinaire.
Le propriétaire d’une ménagerie ambulante, qui se rendait à Dresde, était arrivé le même soir, fort tard, dans ce village, avec un éléphant. Il attacha cette bête près de la fenêtre de l’auberge, et alla se rafraîchir dans la salle d’entrée. Nos joyeux convives occupaient le premier étage. Ils mangeaient, buvaient et chantaient. L’âme bienveillante de Haydn s’était mise à la portée de ces bonnes gens. La gaîté la plus franche présidait à ce repas, et le bruit des verres retentissait au loin.
L’éléphant, naturellement attentif, eut probablement la fantaisie de prendre sa part des joies expansives qui se manifestaient au-dessus de sa tête. Il leva son immense trompe, l’appliqua contre la fenêtre, et ouvrit celle-ci sans peine. Cette trompe ne parut pas plutôt à travers l’ouverture, qu’elle manoeuvra à droite et a gauche, à la grande stupéfaction des assistants, renversa bouteilles, assiettes, flambeaux, chaises et tables. La plupart des pauvres campagnards se prosternèrent à terre, à moitié morts de frayeur, à la vue subite de ce gros serpent gris qui se mouvait dans l’air et portait le ravage sur tous les points.
Haydn eut besoin de toute son éloquence pour rassurer ses convives, bien qu’il ne pût pas encore s’expliquer lui-même la cause de ce phénomène. Heureusement le propriétaire de la ménagerie entra, et pria la société d’excuser la trop grande curiosité de son éléphant.
Heugel. Paris, 1834.