Le couac
Wagner dirigeait, en 1872, un concert dans la nouvelle salle du Musikverein, à Vienne. Il arriva que le corniste-virtuose Richard Lévy fit un couac. Son ami, le vaudevilliste Edouard Mauthner, qui était assis au premier rang des auditeurs, éclata de rire.
Pendant l’entracte, tous ceux qui y avaient ou croyaient y avoir droit se réunirent au foyer. Wagner déclara que c’était un crime de se moquer d’un artiste parce qu’il avait fait un couac. Il fallait se rendre compte du mérite qu’il y avait à tirer d’un ingrat métal un son idéal. Et il embrassa le virtuose, pour lui montrer combien il excusait le petit accident dont il avait été victime.
Alors, le corniste Lévy s’avança vers le vaudevilliste Mauthner et lui dit :
— Ce n’est pas gentil d’avoir ri de mon couac…
Et, comme l’autre s’excusait en riant, Lévy l’interrompit :
— Non, mon cher Mauthner, ce n’est pas gentil et c’est même de l’ingratitude de votre part, car, moi, j’ai vu tous vos vaudevilles, et je n’ai pas ri une seule fois.
La boutade fit rire aux larmes Richard Wagner.
« Les Annales politiques et littéraires. » Paris, 1908.
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