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Les anecdotes
12 janvier 2022

L’hypnotisme auxiliaire de la justice

femme-justice-balance

Les trois expériences d’hypnotisme tentées par le juge d’instruction de Tulle en vue de découvrir les auteurs des lettres anonymes qui, depuis des mois, affolent littéralement la population de cette ville, se sont traduites, chacun le sait, par un triple insuccès. Elles ont eu, cependant, un résultat auquel, sans doute, le juge ne s’attendait pas : ce fut d’agiter le monde judiciaire d’une émotion qui va se répercutant jusqu’au sein du Parlement, puisque deux sénateurs vont interpeller le gouvernement à ce sujet. 

Voilà, me direz-vous, bien du bruit pour peu de chose. Oui, mais c’est qu’il s’agit des méthodes de la justice, de ses pratiques, de ses traditions, choses antiques et solennelles, auxquelles il ne faut toucher qu’avec des précautions extrêmes. Thémis n’a pas toujours accueilli de bon cœur l’aide des sciences dont les lois sont définitivement fixées et reconnues par le consentement universel; comment voudriez-vous qu’elle acceptât le concours de celles qui n’en sont qu’au balbutiement ? 

Cependant, tout infructueuses qu’elles aient été, les expériences de Tulle n’en posent pas moins une fois de plus ce grave problème : L’hypnotisme peut-il devenir auxiliaire de la justice ? 

Montaigne eût dit « Que sais-je ? » et Rabelais « Peut-être ». 

Les fervents des sciences occultes disent oui, et ils citent même des cas où l’intervention d’un médium en état d’hypnose éclaira la justice. Celui-ci, entre autres :

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Il y a de cela plusieurs années, c’était à la fin de l’Empire, un avocat, secrétaire de Jules Favre, nommé M. de Boisbandran, disparut au cours d’un voyage en Italie. La police, mise en campagne, ne parvint pas à retrouver sa trace. C’est alors que les parents du disparu d’adressèrent à une somnambule — on ne disait pas encore une voyante — dont tout Paris vantait les singulières facultés de divination. 

Mme Auffinger — ainsi s’appelait cette somnambule — déclara d’abord que M. de Boisbandran avait été assassiné tel jour, à telle heure et en tel endroit, qu’elle décrivit,  par un homme qui voyageait avec lui. L’assassin l’avait frappé de trois coups de poignard; après quoi, un complice, survenant, l’avait achevé à coups de bâton. La voyante fit même la description des vêtements que la victime portait ce jour-là et donna le signalement des criminels. 

Quelques camarades du disparu, munis de ces renseignements, s’en furent en Italie.  Après quelques recherches, ils retrouvèrent le corps à l’endroit désigné. L’autopsie confirma l’assassinat. On trouva la marque des trois coups de poignard. Mais on ne retrouva pas l’assassin. 

Les parents se souvinrent alors que, peu de jours après la disparition du jeune homme, un individu était venu chez eux demander de ses nouvelles. 

— J’ai rencontré M. de Boisbaudran en voyage, disait-il; nous avons fait route ensemble quelque temps. Je viens d’apprendre qu’il a disparu. Avez-vous quelque espoir de 
retrouver sa trace ? 

Et cet homme était très préoccupé de savoir quelles recherches étaient entreprises dans ce but. 

Les parents du jeune avocat n’avaient pas attaché grande importance à cette visite. Plus tard, quand la somnambule eut parlé et fait la description de l’assassin, ils constatèrent que cette description était exactement celle de l’homme oui était venu chez eux. 

affaire-gouffé

Au mois de juillet 1880 — vingt ans après — Madame Auffinger vivait encore et n’avait rien perdu de son pouvoir divinateur. L’huissier Gouffé venait de disparaître et l’on n’avait pas encore retrouvé la malle tragique (L’affaire de la Malle sanglante) dans laquelle Evraud et Gabrielle Bompard avaient enseveli son cadavre. 

Un ami de Gouffé s’en fut chez la somnambule et lui remit quelques objets ayant  appartenu à l’huissier. A peine en état d’hypnose, Madame Auffinger déclara que le propriétaire de ces objets avait été assassiné à Paris, dans une rue proche de l’église de la Madeleine, et que son cadavre, mis dans une immense boîte, avait été emporté loin de Paris, aux environs d’une grande ville. Elle ajoutait que le cadavre serait découvert avant la fin du mois d’août. 

Tout ceci se réalisa pleinement : La malle fut découverte le 23 août à Millery, près de  Lyon. Mais le cadavre était méconnaissable. Etait-ce bien celui de Gouffé ? On eut de nouveau recours à la voyante. Elle dévoila certaines particularités physiques de Gouffé qui concordaient parfaitement avec celles du corps retrouvé à Millery. Elle ajouta même que les assassins étaient partis en Amérique, et qu’avant trois mois ils seraient sous les  verrous. 

Moins de trois mois plus tard, en effet, Gabrielle Bompard se livrait, et Eyraud était  arrêté à la Havane. 

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Depuis lors, Quelques menus faits nouveaux sont venus renforcer encore la thèse des partisans de l’hypnotisme. On nous a conté diverses histoires qui se passaient à Chicago ou en quelque autre ville d’Amérique. Mais tout cela manquait de contrôle scientifique. « A beau mentir qui vient de loin ». disaient les sceptiques. 

On nous affirma aussi qu’à plusieurs reprises la police britannique et la police allemande avaient usé avec succès de l’hypnotisme, comme moyen d’investigation… Mais on omit de nous dire combien de fois elles en usèrent sans résultat. 

Au mois de novembre 1920, on nous contait encore qu’une dame R…, habitant Neuilly-sur-Seine, avait retrouvé, grâce à l’intervention d’un médium, une barrette qui lui avait été volée. Le médium avait indiqué l’endroit exact où l’objet était caché.

Et puis ?… Et puis c’est tout. Et c’est bien peu pour conclure de là à la nécessité  d’employer les somnambules au service de la justice. Quel immense champ d’action on ouvrirait au charlatanisme ! Que d’erreurs judiciaires en perspective ! Il faudrait tout craindre, jusqu’au dogmatisme des vrais savants eux-mêmes. Le célèbre professeur Liégeois de Nancy ne prétendait-il pas, naguère, démontrer que Gabrielle Bompard n’était pas coupable et n’avait agi qu’en état de somnambulisme et par suggestion ? 

Thémis est sage de ne pas vouloir entrer dans cette voie : elle a bien assez de chances comme cela d’innocenter des criminels et de condamner des innocents. 

« L’Echo d’Alger. »  Alger, 11 février 1922.
Peinture : Justice par Pierre Subleyras.
Gravure : « Affaire Gouffé », la cour d’assises.

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