Remember that time is money

« Le temps est de l’argent » disent nos bons amis d’outre-Manche. Cette britannique devise a toujours été fort bien comprise par l’esprit pratique des Américains. Une piquante anecdote, contée par un journal américain, montre que, dans aucune circonstance, les Yankees n’aiment perdre les heures réservées pour les affaires. 

La femme d’un Américain s’embarquait récemment à New York sur un transatlantique français. Son mari consentit à l’accompagner jusqu’au quai d’embarquement. Le vapeur démarra bientôt et le Yankee, resté sur la jetée, agitait en signe d’adieu un foulard d’une superbe couleur rouge. Le bateau s’éloignait lentement et l’Américain secouait toujours son foulard, mais il paraissait réfléchir à quelque combinaison bien plus absorbante que le chagrin causé par le départ de sa femme. 

Soudain il s’approcha d’un porteur :

— Mon ami, lui dit-il, voulez-vous gagner un dollar ?
— Volontiers, répondit celui-ci.
— Eh bien, tenez, prenez ce foulard, et continuez à l’agiter jusqu’à la complète disparition du bateau. Ma femme n’y voit pas très bien, et, pourvu qu’elle continue à apercevoir le foulard, tout ira bien. Voici ma carte, vous viendrez me rapporter le foulard, et je vous remettrai l’argent. 

L’intérimaire envoyeur d’adieux continua d’agiter consciencieusement le foulard. L’Américain, sans même regarder le vapeur fuyant le port, s’en alla tranquillement vaquer à ses affaires. Et c’est ainsi que se créent les grands trusts. 

« Ma revue. » Paris, 24 mai 1908.