La faculté de s’envoler
Jules Massenet avait la plus grande admiration pour la dernière invention du génie humain : l’aéroplane.
Le matin même du jour néfaste où le ministre de la Guerre, Berteaux, trouvait la mort, sur le champ d’aviation d’Issy-les-Moulineaux, Massenet recevait un journaliste venu pour lui demander ses impressions de lendemain de première. Quelques jours auparavant on avait joué Thérèse à l’Opéra. Le journaliste apprit au musicien l’épouvantable accident qui venait d’ensanglanter la matinée pourtant radieuse. Massenet prononça alors ces paroles avec un accent ému :
— Jusqu’à ce jour la littérature et la musique donnaient seules aux hommes la faculté de s’envoler vers les espaces éthérés de l’infini… Aujourd’hui, la science réalise ces envols d’une façon effective, moins belle peut-être, mais pourtant grandiose à sa manière. Des morts comme celles d’aujourd’hui sont un tribut payé à la fatalité qui nous jalouse et veut nous punir, dirait-on, d’avoir des ailes.
Arlequin. « Le Monde contemporain. » Paris, 1er novembre 1912.