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Les anecdotes
15 février 2023

Le Golem est passé !

golem

Tous les 33 ans, et depuis 1618, le Golem est passé... et il y a du sang à Prague.

A l'aube tragique du 10 mars, lorsque les policiers eurent découvert dans la cour du palais Czernin le cadavre sanglant de Jan Masaryk (1), un habitant de Prague — un Israélite — murmura :

— Le Golem ! C’est la faute du Golem !

Son coreligionnaire hocha la tête et répéta, le regard fixé au loin comme on évoque une puissance redoutable dont le seul nom donne le frisson.

— Oui, c’est peut-être le Golem !

La mort de Jan Masaryk, qui s’est jeté par la fenêtre; la mort, le 26 février dernier, du ministre de la Justice Dritna qui s’est, lui aussi,  précipité dans le vide, ces deux suicides sensationnels survenus en l’espace de quinze jours, ne sont pas, cela va de soi, l’effet du hasard : mais derrière les causes politiques et immédiates de ce drame, il existe une cause plus lointaine, moins connue de l’étranger. Nombre de Tchèques voient, dans cet effroyable coup double, l’effet d’une fatalité qu’exprime une légende maléfique et que confirment de sombres croyances nées dans l’un des endroits les plus extraordinaires d’Europe : le ghetto de Prague.

Dix fois trente-trois ans

Deux dates sont à retenir : 1948-1618. 1618 : c’est l’année de la célèbre « défenestration », l’année où les protestants de Bohême, furieux de la violation de leurs liber- tés religieuses, envahirent le château royal et précipitèrent par les fenêtres deux des quatre gouverneurs et leur secrétaire. 

Entre ces deux dates s’étend une période de trois cent trente-trois ans — soit dix périodes de trente-trois ans — dix fois l’âge qu’avait le Christ lorsqu’il fut crucifié.

Mais la croyance populaire tchèque attache à ce chiffre une autre signification : ces trente-trois années marquent le retour périodique du Golem; être fantastique, génie redoutable et justement redouté, qui annonce le malheur et qui naquit, il y a plus de trois siècles, des mains diaboliques du rabbin Lœwe Ben Bezabel.

Le rabbin diabolique

Le rabbin Lœwe vécut au XVIe siècle. Il mourut en 1609 et son corps repose dans le cimetière israélite, auprès de la plus ancienne synagogue de Prague, dont la double nef, de style gothique, s’orne de stalles de bois et d’arceaux de fer marqués du sceau de Salomon.

Le rabbin Lœwe fut l'ami du célèbre astronome Tycho Braé, qui inventoria plus de sept cents étoiles; il fut aussi l’ami de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg — cette tragique famille impériale sur laquelle devait souffler dans la suite des temps un ouragan de crimes, de folie et de suicides. Rodolphe II, passionné de magie et d’occultisme, mandait souvent auprès de lui le docte rabbin en son triste palais du Hrasdchin et là, dans la pénombre des salles immenses, à l’abri des murailles énormes, le prêtre d’Israël, délaissant le Talmud et la Thora, évoquait les défunts et matérialisait les ombres de l’au-delà. 

En ce temps-là, les juifs de Prague vivaient parqués dans le ghetto, proche du palais royal, dans un lacis de ruelles sordides où le soleil ne s’aventurait pas, venelles misérables entourées d’une enceinte dont les portes — comme des portes de prison — étaient gardées nuit et jour. De ce repaire, les juifs ne sortaient qu’avec crainte. Lorsqu'ils allaient en ville, ils devaient céder le haut du pavé aux piétons, saluer les nobles et porter sur leur lévite un morceau de drap de couleur voyante : tant il est vrai que Hitler n’a rien inventé !

C’est là, dans une des maisons les plus sombres de la sombre rue des Alchimistes, que vivait, priait et travaillait le rabbin Lœwe, penchant son profil hébraïque et sa barbe blanche sur son fourneau.

Le rabbin était entouré de respect et de mystère. Quand ses coreligionnaires le voyaient passer, le dos rond sous sa longue lévite noire et comme ployé sous le poids de son chapeau jaune à larges bords. ils saluaient en lui un saint, un savant et un mage.

Le premier des robots

Une nuit, après des années de tâtonnement, le rabbin Lœwe mit au monde, en grand secret, un être étrange, une créature surhumaine qui n’était pas un fils de Dieu — mais peut-être bien un fils de Lillith : Un homme artificiel qu’il avait pétri dans de l’argile.

D’où son nom : le Golem, mot qui signifie en hébreu « motte de terre ».

Le Golem sonnait les cloches à la synagogue, puisait l’eau à la fontaine, charriait le bois, se livrait à tous les travaux domestiques : c’était l’ancêtre des robots.

Son regard errait dans le vague. Cet homme sans âme — qui n’était pas né d’une femme — semblait se mouvoir comme un personnage de cauchemar, comme un halluciné.

Comment le rabbin lui avait-il insufflé la vie ? On ne le sut jamais. Mais ce que l’on apprit, c’est que le Golem ne vivait, n’agissait que  sous l’influence d'une inscription cabalistique que son maître, chaque matin, lui glissait entre les dents, sous la langue. Privé de la formule magique, le Golem n’était plus qu'une statue de glaise, sans force et sans volonté.

Fatal oubli

Or, un soir — un soir maudit qui allait marquer le début d'une ère de malheur dont le peuple tchèque n’est pas sorti — le rabbin oublia la formule magique dans la bouche du Golem. Quand il s’en aperçut, il était trop tard : soulevé par une fureur de brute, le Golem  s’était précipité dans les rues du ghetto, renversant et brisant tout sur son passage. Puis, il avait tourné à l’angle d'une ruelle et, soudain, comme s’il avait perdu d’un seul coup toute sa vitalité, il était tombé mort.

Depuis lors, son corps d’argile est conservé dans la vieille synagogue.

Tous les trente-trois ans

Mais en perdant la vie, il léguait au monde des vivants son influence maléfique et la tradition veut qu'il réapparaisse tous les trente-trois ans.

Tous les trente-trois ans, fidèle à un inexplicable rendez-vous, un homme imberbe, au visage jaune, au type mongol, venant d’on ne sait où, allant on ne sait où, surgit dans la rue du Vieux-Temple. Il est vêtu de hardes appartenant à un autre âge. Il trébuche, il titube comme un homme ivre. De son pas hésitant et las, il va, semant l’effroi à travers le quartier juif, il tourne à l’angle d’une ruelle...

...Et s’efface.

On le vit une fois entrer dans une maison de la rue du Vieux-Temple, pénétrer dans une chambre qui ne possédait d’autre ouverture qu’une lucarne grillagée.

Un curieux — plus hardi que les autres — monta sur le toit, déroula une corde et se laissa glisser jusqu’à la fenêtre pour regarder à l’intérieur du réduit.

La corde se rompit, l’homme se tua sur le pavé — comme vient de se tuer Jan Masaryk.

Le messager du malheur

L’apparition du Golem s’accompagne toujours de présages : le crépi écaillé des vieux murs prend l’aspect d’une forme humaine; les fleurs de givre, aux fenêtres, dessinent des visages hallucinants et le sable qui, mêlé au goudron, recouvre le carton des toitures, se détache et tombe, comme projeté par une invisible main.

Aux présages succèdent les drames.

1618.— Le Golem apparaît : c’est la défenestration de Prague.

1915. — Le Golem apparaît : l’Empire, austro-hongrois chancelle.

1948. — Trente-trois ans plus tard — deux cadavres de ministres sont trouvés sur le pavé : le Golem est passé.

...Le Golem, qui symbolise les malheurs de ce pays tourmenté, en proie aux guerres, aux invasions, aux persécutions, aux massacres.

Peut-être, avant de mourir. Jan Masaryk a-t-il vu le Golem. Peut- être a-t-il confondu le Golem avec Gottwald (2) ...

(1) JAN MASARYK (1886-1948) - Encyclopædia Universalis

(2) KLEMENT GOTTWALD (1896-1953) - Encyclopædia Universalis

 

« La presse » 16 mars 1948

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