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Les anecdotes
18 février 2022

Voltaire et le pâté

voltaire

Tout s’arrange en dînant, dans le siècle où nous sommes. Zaïre, cette touchante tragédie de Voltaire, fut d’abord reçue du public avec des bravos. Cependant la critique, qui se réveille au bruit des applaudissements, décocha quelques-uns de ses traits sur cette œuvre. Son auteur, désireux de la faire taire, usa du sage précepte de Boileau, et remit, vingt fois son ouvrage sur le métier. 

Voltaire avait beau être une puissance, il y en avait encore une au-dessus de la sienne : c’était celle des acteurs et surtout de ce Dufresne si vain et si glorieux, qui remplissait le principal rôle. Aussi le poète était-il, pour ainsi dire, aux genoux du comédien pour lui faire recevoir ses corrections. Enfin, ce dernier, avec toute la morgue qui le caractérisait, notifia sèchement à l’auteur de Zaïre qu’il était fatigué d’apprendre et de désapprendre, et qu’il ne recevrait plus désormais ces requêtes poétiques.

Voltaire ne se découragea point; et lorsqu’il n’était pas reçu dans l’appartement de Dufresne, il glissait ses alexandrins par le trou de la serrure. Ce moyen restant sans effet, il saisit une heureuse circonstance pour atteindre son interprète récalcitrant.

Un jour que Dufresne donnait un dîner d’apparat à ses camarades, il reçut un pâté d’une honnête dimension, envoyé par quelqu’un qui désirait garder l’anonyme. L’amphytrion et les connaisseurs reçurent cette pièce nouvelle par acclamation (style de comité), et soignèrent sa mise en scène. On leva la toile, ou plutôt la croûte du pâté, et l’on vit paraître douze jolies perdrix aussi appétissantes que douze jeunes premières : chacune d’elles tenait dans son bec un billet sur lequel étaient écrits les vers à retrancher ou à substituer dans le rôle de Dufresne.

Cette manière ingénieuse de présenter ses corrections fut goûtée du comédien, et Voltaire obtint autant d’applaudissements dans la salle à manger, qu’au parterre de la Comédie-Française.

« L’Entr’acte versaillais. »  Versailles, 1864

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