Conviction artistique
C’est une singulière aventure qui arriva un soir pendant une tournée en province à l’excellent comédien Antoine Balpêtré.
Au début d’un acte, il avait à jouer seul une scène sur laquelle il compte toujours beaucoup et qui se passe dans une demi-lumière. Ne pensant qu’à ce qu’il va faire, se concentrant, se montant le coup pour bien jouer « nature », il descend l’escalier des loges, entre en scène et, tout de suite, pris par le démon de l’art, se donne, se multiplie, s’agite, met toute son âme dans cette scène significative, dépense des trésors de talent et, épuisé, presque sur les genoux, rentre dans la coulisse où un de ses camarades lui dit :
— Balpêtré, tu es épatant, mon vieux, mais je crois que tu as tort de répéter ainsi au dernier moment, en donnant toute la sauce. Tu n’y tiendras pas.
— Quoi ? Quoi ? fait l’artiste, effaré. J’ai joué de mon mieux, voilà tout.
—Comme ça ? Pour toi tout seul ?
L’acteur, n’y comprenant rien, jette un regard autour de lui : il avait joué derrière une toile baissée !
— Ah ! je vois maintenant, s’écrie-t-il avec désespoir, pourquoi le public restait si froid !
« Le Journal amusant. » Paris, 1932.