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Les anecdotes
11 janvier 2022

Cheval de bataille

rousselot

Certes, j’aimais à les voir nos cavaliers de France si valeureux et si hardis; j’aimais leur superbe arrogance, mais aussi… Eh bien, oui, il vaut mieux l’avouer franchement, j’admirais leurs chevaux presque à l’égal d’eux-mêmes.

Forts et vigoureux, malgré leur charpente délicate et fine, ces animaux, outre leurs grandes qualités de race, sont surtout remarquables par leur courage et par leur endurance. Combien de héros leur doivent un nom illustre ? Combien de guerriers ont vaincu grâce à la force et à la résistance de leur monture ? Combien durent le salut à sa rapidité ? Combien de vies humaines furent détruites ou sauvées par ces impétueuses charges, irréalisables si l’on ne pouvait tout demander à la fougue et à l’énergie du vaillant animal ? Qui le sait ? Nul n’ignore cependant à quel point le cheval, excité et aidé par l’homme, peut pousser l’héroïsme.

A ce propos, je me rappellerai toujours le récit que me faisait, il y a quelques mois à peine, un des rares survivants des cuirassiers de Reichshoffen. Après m’avoir retracé les débuts de la bataille, il ajouta :

« Lorsque les claires sonneries des trompettes eurent transporté tous les cœurs, lorsque, ranimées par ces éclats vibrants, la haine du Prussien et l’espérance de vaincre eurent enflammé notre courage, nous étions prêts à tout entreprendre pour détruire les carrés ennemis. Pourtant, la charge eût été moins furieuse, l’élan moins farouche, le mépris de la mort moins absolu, si, avant de partir, nous n’avions pas senti nos braves chevaux trépigner sous leur selle. Transportés eux aussi par le son des instruments, ils frappaient du pied la terre, comme impatients d’unir leur ardeur à la nôtre. On eût dit qu’homme et cheval ne fussent qu’un, et le patriotisme du premier, joint à la fougue de l’autre, produisit ces admirables charges, où la mort couronnait chacune de ses victimes d’une auréole de gloire. Pour citer un épisode entre mille, je vis, ajouta le vieillard, un de mes compagnons avoir son coursier frappé de plusieurs balles au ventre; le cheval s’affaissa, mais une forte impulsion du cavalier fit relever la bête, qui dans un sublime et vaillant effort se jeta au galop sur les lignes prussiennes. »

Ici s’arrêta le récit ému du vieux brave.

Oui, de tous les animaux il est bien le plus noble, celui qui meurt ainsi sur les champs de bataille, qui, la crinière au vent, la tête haute et fière, court allègrement au trépas, harnaché comme aux grands jours de fête ! Percé de nombreux coups, il tombe; les bruits du combat étouffent son râle, et il succombe au milieu du carnage, victime innocente de l’injustice humaine, souvent sans qu’aucun de ceux pour lesquels il vient de se sacrifier daigne en le voyant mourir l’honorer d’un regard de pitié !

Étienne Capbern-Gasqueton. « La Lecture française. » Bordeaux, 25 juin 1906.
Peinture de Lucien Rousselot.

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