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Les anecdotes
25 décembre 2021

La dame à la clef

edmund-blair-leighton

Il est mort à Versailles une dame russe qui parut tout un hiver dans les salons de Paris, en 1848 et 1849, et que l’on avait surnommée la dame à la clef.

Retirée à la campagne, près de Versailles, elle y est décédée l’année dernière, à l’âge de quarante-cinq ans. Elle y vivait dans la plus complète solitude. On prétend que son mari, beaucoup plus âgé qu’elle, venait la voir pendant une semaine ou deux, tous les six mois, et repartait on ne sait pour où. Tout était mystère, d’ailleurs, autour de la dame à la clef.

Au mois de février 1870, ce ne fut pas le mari qui arriva, comme d’habitude, ce fut une lettre qui annonçait sa mort. La veuve ne lui a survécu que de quelques jours. Elle s’est littéralement éteinte. On va jusqu’à supposer qu’elle s’est laissée mourir de faim.

Histoire ou légende, voici ce qu’on chuchotait sur son compte quand elle parut à Paris, jeune et belle. Elle n’avait alors que vingt-trois ou vingt-quatre ans. On se racontait que son mari l’avait surprise, dans une petite maison de campagne qu’il possédait aux portes de Moscou, au moment où elle fermait vivement une armoire.

Un domestique l’avait dénoncée à son mari.

L’Othello moscovite donna deux tours à la clef, la retira, puis il enjoignit à sa femme de sortir avec lui. Un briska de voyage attendait à vingt pas de la maisonnette. Plus morte que vive, la malheureuse obéit. Le mari, quand il l’eut installée dans la voiture et eut donné un ordre à voix basse au cocher, retourna sur ses pas et rentra dans la maison.

 Gardez cette clef, avait-il dit à sa femme; j’ai oublié quelque chose, je vais revenir.

Il revint, en effet. Mais du bas de la côte que redescendait la voiture, la pauvre femme put voir les flammes sortir par les fenêtres de la maison de campagne et commencer à l’envelopper.

Elle s’évanouit. Combien dura-t-il, cet évanouissement ? On ne sait. Mais, en reprenant ses sens, l’infortunée s’aperçut qu’elle avait au cou un collier d’or, sans fermoir, rivé, et auquel était suspendue la petite clef de l’armoire.

Elle voulut se tuer. Le mari la menaça, si elle donnait suite à sa résolution, de dévoiler sa faute, de flétrir à jamais sa mémoire, de faire rejaillir le déshonneur sur la famille de la coupable.

Il la condamna à vivre ! Elle dut se résigner.

Emmenée à Paris, son étrange bijou intrigua beaucoup les curieux. On fit mille conjectures, on jasa jusqu’à ce que, cédant aux prières de sa femme, son tyran consentit à la laisser vivre dans une modeste retraite, à la condition, cependant, condition qu’elle s’engagea sur serment à respecter, qu’elle n’attenterait pas à sa vie tant qu’il vivrait lui-même.

La mort du mari l’a rendue enfin libre; c’était depuis plus de vingt ans qu’elle languissait ainsi, ayant toujours devant elle le témoignage de son infidélité d’un jour.

« Almanach astrologique. » 1871, Paris.
Peinture : Edmund Blair Leighton.

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