Le Code Denis
En 1770, Grimm et Diderot furent invités à dîner, le jour des Rois, chez un particulier qui voulut faire honorablement les honneurs de cette fête.
Suivant l’usage antique et solennel, on sert en France, le jour des Rois, un gâteau qu’on partage en autant de parts qu’il y a de convives. C’est la plus jeune personne de la compagnie qui en fait la distribution; celui des convives qui reçoit la fève qu’on a cachée dans le gâteau est proclamé roi; et il est d’usage qu’il ne puisse boire sans une acclamation générale de toute la table.
La royauté étant tombée en partage à Diderot, il n’a pas voulu laisser languir ses sujets; il a publié ses lois successivement, pendant qu’on était à table; de sorte qu’avant de sortir et de déposer son sceptre, tous les devoirs de la législation se trouvèrent remplis par l’impromptu suivant :
CODE DENIS
Dans ses états, à tout ce qui respire
Un souverain prétend donner la loi.
C’est le contraire en mon empire;
Le sujet règne sur son roi.
Divise pour régner, la maxime est ancienne;
Elle fut d’un tyran : ce n’est donc pas la mienne.
Vous unir est mon vœu : j’aime la liberté;
Et si j’ai quelque volonté,
C’est que chacun fasse la sienne.
Amis qui compose ma cour,
Au dieu du vin rendez hommage,
Rendez hommage au dieu d’amour :
Aimez et buvez tour à tour.
Buvez pour aimer davantage.
Que j’entende, au gré du désir,
Et les éclats de l’allégresse,
Et l’accent doux de la tendresse,
Le choc du verre et le bruit du soupir.
Au frontispice de mon Code
Il est écrit : Sois heureux à ta mode;
Car tel est notre bon plaisir.Fait l’an septante et mil sept cent,
Au petit Carrousel, en la cour de Marsan;
Assis près d’une femme aimable,
Le cœur nu sur la main, les coudes sur la table.
Signé Denis, sans terres ni château,
Roi par la grâce du gâteau.
Charles-Yves Cousin d’Avallon. »Grimmiana, ou Recueil des anecdotes, bons mots, plaisanteries de Grimm. » Paris, 1813.