Remède consomptif
Il y a un drôle à Williamsburg qui s’intitule ministre de l’Evangile et vend une « potion consomptive ».
Je suppose qu’il veut dire que c’est un remède contre la consomption. C’est quelque ripopée dans une fiole bouchée, mais il y a beaucoup de gens assez idiots pour lui en acheter. En Novembre dernier, un certain personnage désira ardemment, dans l’intérêt de l’humanité, avoir une entrevue avec le révérend frère, mais il fut aussi inaccessible qu’un moine dans sa cellule. La personne écrivit au fripon un billet fort poli pour s’informer des prix. Il reçut en réponse une circulaire imprimée, dans laquelle l’excellent homme exposait, de la manière la plus touchante, le chagrin qu’il éprouvait d’avoir augmenté ses prix, à cause du prix de l’or avec lequel, disait-il, je suis obligé d’acheter mes médicaments à Paris. Cette réponse était à la fois triste et peu satisfaisante, et le monsieur se rendit à Williamsburg pour avoir avec lui une entrevue et se rendre compte de tous les prix. Il se présenta à la demeure du pieu personnage, mais, chose étrange, il n’était pas à la maison.
La personne attendit. Le révérend frère continua à ne pas être à la maison. Quand le monsieur eut attendu tout son content, il s’en retourna.
Il est bien entendu qu’il ne faut pas songer à voir le révérend frère. Peut-être est-il si modeste et si timide qu’il ne veut pas affronter les acclamations de reconnaissance des millions d’humains qu’il a sauvés par sa potion consomptive et qui ne lui permettraient pas de passer dans les rues. Il est dommage que le révérend ne jouisse pas de la réclusion encore plus complète par laquelle l’état de New York témoigne son appréciation des vertus cachées et modestes dont il est orné, dans la salubre et paisible ville de Sing Sing.
Phineas Taylor Barnum. « Les blagues de l’univers. » Paris, 1866.
Illustration : Burt Lancaster, « Elmer Gantry, le charlatan. » Richard Brooks, 1960.