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Les anecdotes
25 décembre 2022

Evariste Galois

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Les pédagogues qui rédigent, à l'usage des pauvres petits écoliers, des Vies des hommes illustres, ne consacreront pas l'une de ces monographies si édifiantes à Evariste Galois. Tant mieux pour Evariste Galois, somme toute et tant pis pour les pauvres petits écoliers, qui auraient là une émouvante lecture.

Evariste Galois était un mathématicien de génie. Il faut qu'on le sache et qu'on le croie pour que soit tout à fait poignante son existence, que seule je me propose de raconter. Seulement, le génie mathématique d'Evariste Galois, je ne puis pas le démontrer ici; même, je ne saurais pas le démontrer ailleurs. Et alors, nous nous contenterons, mon lecteur et moi, des attestations accordées à la mémoire de cet homme extraordinaire par les personnes les plus compétentes.

Ainsi, l'illustre Sophus Lie considère Galois comme « l'un des premiers mathématiciens de tous les temps » il le déclare « immortel » pour avoir, le premier, reconnu « l'importance du concept de groupe discontinu ». On met Evariste Galois sur la même ligne qu'Abel; les mathématiciens d'aujourd'hui partent des principes de Galois. C'est un des plus grands esprits qu'il y ait eu.

Maintenant voici les épisodes principaux de la vie que mena, sans le vouloir, Evariste Galois, parmi ces apparences qu'on nomme réalités. J'emprunte la matière de ces notes à un article que publie M. Robert d'Adhémar dans la Revue du Mois pour la biographie de Galois, M. d'Adhémar a suivi une étude de M. Paul Dupuy mais, cette étude de M. Paul Dupuy, qui a paru dans les Annales de l'Ecole Normale supérieure, je ne l'ai pas.

Evariste Galois était né, en 1811, à Bourg-la-Reine, que la sottise des temps appelait Bourg-Egalité, cela en souvenir d'une époque récente encore où des gaillards impétueux avaient décidé que les hommes étaient égaux, ce qui est inexact, ou enfin que les hommes seraient égaux, ce qui n'est point arrivé. Donc, à Bourg-la-Reine naquit, en 1811, Evariste Galois.

Il paraît que sa mère était « virile jusqu'à l'excès » — qu'est-ce à dire ? — « d'une générosité exaltée, presque bizarre ». Quant à son père, un « homme cultivé », mais bizarre, lui aussi, et qui devait, maniaque de la persécution, se tuer.

A treize ans, Evariste est mis au lycée Louis-le-Grand, lycée où, depuis la fin de l'Empire, on faisait de la politique d'opposition. Ce milieu ne fut pas très favorable au petit Evariste, qui avait plutôt besoin de calme et qui subissait durement l'exaltation politico-sociale.

A seize ans, il lit « d'un trait » la Géométrie de Legendre; et il la comprend si bien qu'il la retient. Puis il dévore Lagrange; et il s'occupe de résoudre l'équation du cinquième degré. A tout cela, M. d'Adhémar assure que les professeurs du lycée Louis-le-Grand ne comprenaient pas grand'chose. Ils disaient que le petit Galois était « dominé par la fureur des mathématiques », et voilà tout.

Evariste, ainsi, sentit son isolement. Il l'attribua, sans se tromper, à son génie. Ce n'était pas pour le rendre modeste. Il devint plus orgueilleux encore qu'il ne l'était naturellement; il devint plus étrange, malheureux avec plus de fierté. Bref, il prit conscience de son individualité. Puis il fut refusé à l'Ecole polytechnique; cet échec, il se l'expliqua par une flagrante injustice : ses   doctrines mathématiques ne lui permettaient-elles pas de rendre un peu le hasard responsable ?... Je ne sais pas. Mais les uns disent qu'il n'y a pas de hasard; les autres appellent hasard, en fin de compte et à bout de sagesse, leur incertitude.

Galois trouva sur son chemin, pourtant, un professeur intelligent. Il y a des professeurs intelligents. Celui de Galois s'appelait M. Richard; il s'aperçut de la valeur de son élève et il l'encouragea de son mieux.

En 1829, Evariste Galois, qui n'avait pas encore dix-huit ans, remit au mathématicien Fourier, pour qu'il la communiquât à l'Académie des Sciences, une « note sur les équations ». Note très importante et qui contenait tout l'essentiel de l'idée galésienne. Galois n'entend plus parler de sa note.

Cette même année 1829, il se présente pour la deuxième fois à l'Ecole polytechnique. Pour la deuxième fois, il est refusé. C'est bien étrange Mais il a traité l'examinateur insolemment. Ou bien l'examinateur lui a posé une question qu'il a, lui Galois, jugée trop facile, indigne de lui; et il n'a pas répondu...

Là-dessus, son père se tua, à cause de ce délire de la persécution qui, d'ailleurs, ne prend que des gens fort malheureux et, le plus souvent, persécutés.

Mais Galois fut admis à l'Ecole normale, ou, du moins, à ce qui restait de l'Ecole normale une « Ecole préparatoire » qu'on lui avait, en 1822, substituée; —  alors comme aujourd'hui, des réformateurs malfaisants et sournois s'attaquaient à cette maison qui était  magnifique et n'est plus rien du tout; des ministres peu lettrés favorisaient cette entreprise abominable.

Galois écrivit un mémoire où il exposait enfin sa découverte, sa prodigieuse invention. Et il le porta bien vite à Fourier pour obtenir un prix de l'Académie des sciences. Seulement, Fourier mourut et on chercha dans ses papiers le manuscrit de Galois mais il fut impossible de le trouver.

En 1826, Abel, âgé de vingt-quatre ans, avait composé pour l'Académie des sciences un mémoire qui est une date des plus importantes dans l'histoire des mathématiques; et il était allé porter ce mémoire à Cauchy, comme Galois le sien à Fourier. Et, comme Fourier négligea et perdit même le mémoire de Galois, Cauchy négligea et même égara le mémoire d'Abel. Toutefois, celui-ci, on le retrouva, dans les papiers de Cauchy mort; et l'Institut l'imprima, en 1841 : Abel était mort lui-même depuis douze ans. Le manuscrit de Galois fut bel et bien perdu. Heureusement, Galois vivait encore, pour quelques mois; et il put reconstituer son mémoire. Mais enfin, s'il est vrai, comme on le dit, que les deux plus grandes pensées mathématiques du dix-neuvième siècle soient celles de Galois et d'Abel, on voit qu'il s'en fallut de peu qu'elles ne fussent anéanties. Après cela, les destinées des mathématiques n'étaient plus ce qu'elles furent. Ainsi se joua le hasard; quelle aventure pathétique !

Vinrent les journées de Juillet. Galois supportait mal d'être enfermé dans une école pendant ce temps-là. Puis le gouvernement de Louis-Philippe réorganisa l'école à sa manière, qui n'était pas la manière de Galois. Galois se fit mettre à la porte; et il ouvrit un «cours libre d'algèbre ».

D'ailleurs l'histoire du manuscrit perdu par Fourier le fâchait. Poisson le pria de récrire son mémoire. Il le récrivit mais Poisson déclara tout cela «incompréhensible». Alors, Galois s'exaspéra de plus en plus; et, comme quand on est exaspéré, il fit de la politique. Il s'affilia d'abord à la sociéte républicaine des «Amis du peuple» et puis il entra dans l'agitation révolutionnaire. Au mois de mai 1831, — il avait vingt ans —, il fut l'un des convives d'un banquet politique dont il ressentit fortement la chaleur communicative. Il se leva, tira son couteau, l'ouvrit et s'écria :

— A Louis-Philippe !...

On l'arrêta et on le mit à Sainte-Pélagie, qui était une bonne prison.

Un an plus tard, au mois de mai 1832, il y avait beau jour qu'il n'était plus en prison; malheureusement, car, libre, il était devenu le prisonnier d'une plus redoutable Pélagie, — une femme « plus que vulgaire », dit son biographe désolé. Pour cette créature imparfaite, il dut, le 30 mai, se battre. Le 29, il avait écrit une «lettre à tous les républicains»; en voici le passage principal :

Je prie les patriotes mes amis, de ne pas me reprocher de mourir autrement que pour le pays. Je meurs victime d'une infâme coquette.

Cet amoureux n'avait pas d'illusions. Il n'en avait que pour la République. C'est triste !

Il ajoutait :

Adieu!... J'avais bien de la vie pour le bien public !...

C'est un peu emphatique, mais émouvant tout de même. Et ce garçon de vingt et un ans, qui sentait en lui de belles ressources d'énergie, fut tué. Une balle qu'il reçut dans le ventre amena une péritonite. Il mourut le 31 mai. 

La veille du duel, après avoir écrit sa lettre à tous les républicains, il s'était dépêché de rédiger quelques-uns des résultats de ses recherches mathématiques. Son œuvre tient en quarante pages.

Le mémoire qui contient le théorème d'Abel ne fut imprimé que douze ans après la mort d'Abel. L'œuvre de Galois ne fut réunie et publiée qu'en 1846, quatorze ans après la mort de Galois...

Elle n'entra véritablement en scène, dit M. d'Adhémar, qu'en 1870, lorsque M. Camille Jordan publia son admirable Traité des substitutions et des équations algébriques. L'œuvre de Galois a été « découverte » quarante ans après sa mort tragique. Elle est désormais regardée comme l'une des cimes de la pensée humaine.

Dans une lettre qu'il adressait à l'un de ses amis, Galois écrivait :

Il y a des êtres destinés, peut-être, à faire le bien, mais à l'éprouver, jamais ! Je crois être du nombre.

Ce pessimisme avait ses raisons, comme on dit...

Mais, quant aux idées mathématiques d'Evariste Galois, je ne saurais certainement pas les résumer. Je n'oserais pas, en outre. Alors, je citerai quelques lignes des courts écrits qu'a laissés cet homme de génie.

Ceci n'est point, en son détail, tout de suite intelligible aux personnes qui ne font pas un usage habituel de la mathématique. Seulement, c'est beau tout de même. On dirait du boniment prodigieux d'une sorte de camelot de l'absolu, il me semble...

Si maintenant vous me donnez une équation que vous aurez choisie à votre gré et que vous désiriez connaître si elle est ou non  soluble par radicaux, je n'aurai rien à y faire que de vous indiquer le moyen de répondre à votre question, sans vouloir charger ni moi  ni personne de le faire... les calculs sont impraticables. — Tout ce qui fait la beauté et à la fois la difficulté de cette théorie, c'est  qu'on a sans cesse à indiquer la marche des calculs et à prévoir les résultats sans jamais pouvoir les effectuer. — Sauter à pieds joints  sur les calculs grouper les opérations, les classer suivant leurs difficultés et non suivant leurs formes, telle est la voie où je suis entré. c'est l'analyse de l'analyse.

Ils ont des recettes! Il font des tours! Ils sont les clowns du sublime !...

Ceci est un peu plus difficile encore mais, pendant que nous y sommes...

De toutes les connaissances, on sait que l'analyse pure est la plus immatérielle, la plus éminemment logique, la seule qui n'emprunte rien aux manifestations des sens. Beaucoup en concluent qu'elle est, dans son ensemble, la plus méthodique et la mieux coordonnée. Mais c'est erreur...

Hélas hélas où allons-nous ?...

Tout cela étonnera fort les gens du monde, qui en général ont pris le mot Mathématique pour synonyme de régulier. Toutefois, ici comme ailleurs, la science est l'œuvre de l'esprit humain, qui est plutôt destiné à étudier qu'à connaître, à chercher qu'à trouver la vérité.

En effet, on conçoit qu'un esprit qui aurait puissance pour percevoir d'un seul coup l'ensemble des vérités mathématiques non pas à nous connues, mais toutes les vérités possibles, pourrait les déduire régulièrement et comme machinalement de quelques principes combinés par des méthodes uniformes, alors plus d'obstacles, plus de ces difficultés que le savant rencontre dans ses explications. Mais il n'en est pas ainsi; si la tâche du savant est plus pénible et partant plus belle, la marche de la science est moins régulière la science progresse par une série de combinaisons où le hasard ne joue pas le moindre rôle; sa vie est brute et ressemble à celle des minéraux qui croissent par juxtaposition. Cela s'applique non seulement à la science telle qu'elle résulte des travaux d'une série de savants, mais aussi aux recherches particulières à chacun d'eux. En vain les analystes voudraient-ils se le dissimuler : ils ne déduisent pas, ils combinent, ils comparent; quand ils arrivent à la vérité, c'est en heurtant de côté et d'autre qu'ils y sont tombés.

C'est admirable, jeune, et triste! Il y a là, si je ne me trompe, plus d'idées que pour dix volumes d'un autre; et de la jeunesse, oui, dans le plaisir d'étonner les gens du monde ou autres; et ce pessimisme est poignant, qui s'attaque et à la méthode et au résultat de la découverte scientifique.

Evàriste Galois, qui mourut à vingt et un ans, a laissé ses idées en l'état de formules brèves et elliptiques; les circonstances, un peu rudes, ont préservé son œuvre du développement obligeant et lui ont gardé leur bon air d'orgueil.

André Beaunier. "Le Figaro", 17 octobre 1908

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