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Les anecdotes
29 mai 2022

Un martyr de la science

plaque-archereau

Emile Augier, dans une de ses comédies, sinon des plus célèbres, du moins des plus touchantes, dans Un beau mariage, mettait en scène un inventeur exposé, aux tourments qui sont d'habitude l'apanage des chercheurs opiniâtres. Sortant des brouillards de la vie terre à terre, son héros parvenait au beau temps de la réussite; il ne subissait pas le triste sort de la plupart de ses confrères restant méconnus; il triomphait un peu ayant la chute du rideau et opérait superbement la découverte de la liquéfaction du gaz carbonique.

Dans la réalité cette grande découverte appartient à Faraday; il la réalisa grâce à un appareil qui, construit par Thilorier, commença par tuer son préparateur Hervy. La mort ! peu importe pour l'inventeur: c'est le moindre des dangers qu'il court; elle ne se gêne d'ailleurs pas avec lui. Et comme le rappelle éloquemment un des personnages d'Augier, elle, est déjà longue la liste des soldats de la science, morts au champ d'honneur ! Gelhen, empoisonné par le gaz hydrogène arséniqué; Boullay, brûlé par la vapeur d'éther; Hennel, foudroyé par le fulminate de mercure, et tant d'autres... sans compter les blessés, sans compter ceux engloutis dans l'oubli, tués obscurément par le travail, empoisonnés par les mécomptes, le dédain ou les calomnies.

Parmi ces victimes de la science non pas tuées brutalement mais longuement martyrisées, il faut placer un des plus puissants semeurs d'idées industrielles, un physicien admirable, un inventeur français, Archereau,  auquel la Revue scientifique vient de consacrer une très curieuse étude biographique !

Henri-Adolphe Archereau naquit le 4 octobre 1819 à, Saint-Hilaire-le-Vouhis, canton de Chantonnay  (Vendée), au hameau de la Roulière. Il mourut à Paris à Ménilmontant, dans un réduit de la rue du Retrait, le 9 février 1893, chargé d'ans (âgé), il est vrai, mais aussi accablé, comme on va le voir, de chagrins et de  malheur.

Pendant cinquante ans,il travailla avec acharnement, se révéla chercheur de  talent, peut-être même de génie, et mourut à Paris plus pauvre qu'il n'y était venu en 1842. Il y arrivait alors, après avoir terminé ses étrudes et fait quelques voyages instructifs. Les cours de chimie et de physique de la Sorbonne n'ont pas d'auditeur plus assidu; mais le goût des inventions tourmente le jeune étudiant et son esprit voit l'application pratique des grands principes qu'on lui expose; il démontre l'utilisation possible, au point de vue industriel, du vide produit par la machine pneumatique, puis, saisi d'enthousiasme pour l'électricité, se consacre à cette science, alors en enfance. Il assiste à des expériences faites avec la pile de Bunsen,  et saisit immédiatement de quelle ressource peut être cette force nouvelle pour la production de la lumière; sur-lè-champ trouve le moyen de la faire, servir à l'éclairage. Il transporte l'électricité du laboratoire dans le domaine de la pratique, par des essais qui sont des coups de maître.

Dès 1843, en effet, et le premier peut-être, à l'âge de vingt-quatre ans, il réussit à éclairer, sa salle à manger au moyen d'une batterie de 50 piles Bunsen : ce fut presque une révolution dans le quartier qu'il habitait. Son biographe, M. M. Baudouin, nous donne, à ce sujet, quelques détails, et il a, en effet, raison de penser que la chose vaut la peine.d'être contée à une époque où l'on a déjà perdu de vue, grâce aux perfectionnements rapides de l'éclairage électrique, les modestes débuts de cette industrie nouvelle.

Comme la lumière obtenue, inondait non seulement son petit appartement, mais les rues voisines, éclairant une partie de la place Saint-Honoré, des curieux s'assemblaient tous les soirs non loin de sa maison. Leur nombre allant croissant, Archereau, dont les essais intriguaient les gardes et les passants, fut un jour conduit, pour s'expliquer, devant les autorités, au poste de police. Le commissaire était un homme de sens et d'esprit : il conseilla à Archereau, s'il voulait continuer ses expériences, de demander au préfet de police une permission d'illuminer, non plus sa salle à manger, mais la place du Marché-Saint-Honoré.

Le préfet d'alors, M. Delessert, au lieu de n'octroyer à l'ingénieux étudiant que la grande place de son quartier, lui donna l'autorisation d'éclairer la plus vaste et la plus belle des places publiques de Paris : la place de la Concorde ! L'inventeur était au comble de la joie. Aussi s'empressa-t-il d'inventer des piles spéciales, capables de fonctionner longuement, et bonnes pour autre chose que pour des expériences de laboratoire. Il les fit construire à ses frais, et bientôt éclaira le passage Jouffroy, puis le théâtre du Palais-Royal, pendant soixante-deux représentations consécutives, jusqu'aux journées de février 1848. 

Archereau, voyant qu'il y avait contre l'éclairage électrique public des préventions injustifiées,chercha à appliquer son système à la protection des navires et à en armer les phares. Il réussit encore, mais sans grand profit pécuniaire pour lui personnellement. 

Le tsar Nicolas Ier, ayant entendu parler de ses essais, le fit venir à Saint-Pétersbourg en 1849; on raconte que l'inventeur français charma le souverain russe en dardant des rayons électriques de la perspective Nevski  sur une des forêts du palais, derrière laquelle, reposait dans son berceau l'enfant qui, depuis, réalisa l'alliance franco-russe.

De retour â Paris, Archereau, devançant son siècle, fait conférences sur conférences, soit à Paris, soit en province, sur la lumière  électrique et, sans nul profit pour lui, il prépare l'avènement du nouveau mode d'éclairage qui devait bientôt conquérir l'Amérique. Il importe de bien fixer ce point : Archereau est le premier qui ait réalisé l'éclairage électrique; certes, il n'a pas inventé la lumière électrique obtenue avant lui, mais uniquement dans le laboratoire, au moyen de l'arc voltaïque; mais il a transformé cette production de  lumière en système d'éclairage, en assurant la régularité de production et la fixité de cette lumière, grâce à l'invention de son régulateur, grâce au charbon qu'il employa, et à la modification qu'il fit subir à la pile.

En 1851, Archereau se livra à des essais sur l'arc de triomphe du Carrousel, puis à Marseille, pour l'éclairage du port, à Langres, etc. En 1853, il avait fait plus de 2,500 conférences sur le sujet qui le passionnait.

Mais il n'en fit pas davantage : découragé, voyant sur sa route des obstacles persistants, il renonça à ses recherches favorites et s'attela à d'autres besognes. Il réalisa d'importantes découvertes relatives à là fabrication du sulfate de fer, à l'application des éponges métalliques, à la pyrotechnie, mais ce qu'il trouva surtout, ce qui aurait dû lui donner la fortune, ce qui a procuré des millions et des millions à l'industrie, ce qui a été une source d'énormes bénéfices pour les Compagnies de chemins de fer et de navigation, un admirable bienfait pour la marine à vapeur, ce qui assurera son nom l'immortalité, c'est l'idée et le moyen d'agglomérer les menus de tous les charbons. Plus de poussier inutile. Les mottes de charbon seules pouvaient être utilisées et brûlées; rien désormais ne sera perdu. Cette invention, capitale pour Archereau, ne causa que sa ruine; la maison à laquelle il avait vendu son brevet fit faillite et ne le pava pas; il dut s'exiler en Belgique (1859) pour appliquer son invention.

Il en revint deux ans après. Et le voici de nouveau à Paris, s'efforçant, à l'instar de ce qu'il avait fait pour le charbon, de trouver un ciment agglomérateur destiné à la fabrication des pierres artificielles. Malgré le succès réel de cette tentative, cette création fut encore étouffée dans l'œuf, faute de capitaux. Toujours poussé par le démon de l'invention, il abandonne la pierre et se rejette sur le plâtre. Vers 1802, il trouve le moyen de le rendre insoluble, puis de le cuire à bas prix; de la sorte les fabricants voient leurs dépenses diminuer de moitié. Au lieu de 15 à 17 heures, on cuit désormais le plâtre en 7 minutes.

Du plâtre, Archereau passa à la métallurgie, avec autant de succès pour ses recherches, mais, sans plus de succès pour sa fortune personnelle. En dépit des beaux résultats obtenus lors des expériences faites aux  forges de Guérigny, appartenant à la marine, où on arrive à fondre 300 kilos de fer en cinq minutes, grâce à l'emploi de l'oxygène, notre infatigable chercheur ne reçoit ni récompense honorifique ni commande sérieuse (1865-1867).

Durant la guerre, il met son travail, son talent, son génie inventif au service de la patrie. Il fait au four chinois 250 sacs de charbon par jour. Le bois manquant, il agglomère 3 millions de kilogrammes de poussière de coke perdue, chauffe tous les hôpitaux et toutes les ambulances et permet aux chocolatiers, par la fourniture de ce charbon,de fabriquer par jour 600,000 rations de chocolat. Il lui faut à peine quatre jours et quatre nuits pour transformer une briqueterie rue de Rennes,et la mettre en état de faire 50 tonnes de coke aggloméré par jour, et quatre jours après d'en produire 80 tonnes. C'était le seul combustible qui restât dans la capitale assiégée. En quelques jours, il avait transformé de même un chantier de bois de 80,000 francs en charbon, et Paris pouvait dès lors se garantir du froid, ses hôpitaux ! préparer les boissons et les remèdes nécessaires. En récompense, l'Assistance publique servit plus tard à Archereau une pension de vingt sous par jour !

Après la guerre, Archereau revient un instant à ses chères études; il continue ses recherches sur le plâtre et le charbon. Il trouve un moyen de produire de l'électricité par combustion du carbone, un procédé de désétamage des fers-blancs, une façon d'obtenir l'étain à des prix inférieurs à ceux obtenus jusqu'ici; plus tard il fait connaître une manière d'utiliser les ferrailles de fer-blanc, et prend des brevets pour des piles hydro-électriques, pour une méthode. permettant d'obtenir des cokes moulés, etc.

A partir de ce moment, constate tristement M. Baudouin, Archereau s'épuise en inventions que personne ne réalise et tombe dans une situation très précaire. C'est un enchaînement ininterrompu de déceptions et de misères. Et le vieux rêveur invente toujours; et toujours il est trahi par un hasard malheureux ou volé par quelqu'un.

Vers 1883, tous ses papiers furent dispersés dans une saisie d'huissier et l'officier ministériel ne laissa, paraît-il, à celui qui avait fait gagner quelques millions à plusieurs centaines de Français qu'un bois de lit d'une valeur de 100 francs à peine.

Jusque dans les dernières années de sa vie,, malgré la misère croissante, Archereau invente.

Il a l'intuition de l'immense avenir réservé à l'aluminium; il devine le rôle futur de ce métal et s'applique à trouver des procédés pour le produire à bon compte; il construit des appareils. Six mois avant sa mort il travaille encore et c'est à un appareil pour la préparation de l'alumine.

Je l'ai déjà dit, il a vécu toute sa vie dans la médiocrité; l'Assistance publique à la  veille de son décès lui donnait vingt sous par jour pour que la faim ne l'emportât point brutalement. Il était inventeur, rien  qu'inventeur; il est resté pauvre, sans avoir part aux millions qu'il a procurés à autrui; on ne lui fit même pas l'aumône de la croix de la Légion d'honneur. Cet apôtre inconnu de la science industrielle, s'il avait été Américain aurait été sans doute Edison. Français, il a eu la triste destinée des Denis Papin et des Salomon de Caus, Quand connaîtrons-nous mieux nos devoirs envers les chercheurs ?

 Thomas Grimm "Le Petit Journal"  28 juin 1895

 Illustration : http://atelierdeclaude.over-blog.com/2015/10/henri-archereau-archereau.html

 

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