Le corset est-il nuisible à la santé ?

Quarante singes sont chargés de résoudre le problème du corset, remis à la mode depuis un an par les couturiers. L'éternelle question s'est posée : est-ce oui ou non un instrument de torture; faut-il ou ne faut-il pas porter corsets et guêpières qui donnent à la taille une si belle élégance ?

De vieilles inquiétudes demeurent, restes de la campagne antl-corsets d'il y a cinquante ans. On assurait que la sangle abdominale  s'atrophiait, que des bourrelets de graisse se massaient au-dessus et au-dessous de la partie compressée. L'estomac serré ne supportait plus rien, disait-on, d'où perte de l'appétit, pâleur, congestion après les repas. Fatigue et paresse intellectuelle apparaissaient, qui expliquaient la faibtesse des propos de table aux environs de 1900 et l'habitude prise par les hommes de discuter entre eux après les repas, les femmes étant trop visiblement occupées à digérer.

Sans doute ces expériences passées sont-elles assez troublantes; mais il y a plus sérieux encore : aussi est-ce à quarante singes que  vient d'être confié le soin de répondre à cette grave question : « Le corset n'est-il pas à l'origine des maladies d'estomac ? »

Pour le docteur s, vice-président de l'Université de l'Illinois, éminent phyeiologue et spécialiste des ulcères gastriques, il est hors de doute que ces instruments de torture, qu'on les appelle corsets, buses baleinés, guêpières ou balconnets sont bien à l'origine de ces maux effrayants.

Il est tellement certain de ce qu'il avance, ce physiologue, qu'il n'hésite pas à consacrer 500 dollars à l'achat et à la nourriture de 40singes auxquels il fera porter pendant deux ans un corset comprimant fortement la taille tels ceux qui donnaient aux contemporaines de l'Impératrice Eugénie ou de Polaire ces corps de sylphides, en les faisaient ressembler, à ce que disaient leurs moins indulgents admirateurs. à des oreillers noués par le milieu.

Dans deux ans, le docteur Andrew Ivy pourra enfin nous dire combien d'ulcères se sont déclarés et de quelle nature ils seront. Dans deux ans, l'expérience sera concluante. Les petits corps émaciés des singes malades diront clairement aux écervelées qui ont décidé, pour suivre aveuglément la mode, de réduire leur tour de taille, que le jeu n'en vaut pas la chandelle.

Mais que va faire la Société Protectrice des Animaux ? Et les âmes sensibles qui ont fait célébrer des messes pour le repos des petits cochons sacrifiés à Bikini laisseront-elles imposer le port du corset à quarante créatures innocentes et seulement coupables de  ressembler trop fidèlement aux belles humaines ?

« Ce soir » 18 janvier 1948

Illustration : d'après "Le singe penseur" de Bansky