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Les anecdotes
12 janvier 2022

Hantise

rue-ducouedic

Dans les campagnes, les « Maisons hantées » se font rares. C’est pour Paris et ses immeubles que les Revenants montrent aujourd’hui une prédilection frappante.

Il me souvient de certaine maisonnette des bords de l’Aisne qu’on disait hantée, et où un ami et moi, nous eûmes la curiosité de passer la nuit sans recevoir, à notre grand regret, la visite du fantôme. Peut-être, cette nuit-là, ne lui plaisait-il pas d’apparaître, ou, peut-être encore, le bon état de notre santé, nos cervelles sans inquiétude, nos tempéraments équilibrés n’étaient-ils pas favorables à la communication d’un mort avec des vivants. Quoi qu’il en fût, nous nous gardâmes de nier la hantise possible de cette maison, et nous nous moquâmes d’autant moins de la crédulité des paysans que nous avions plus souvent constaté qu’au fin fond d’une croyance populaire se cache presque toujours un brin de vérité.

La moquerie devant ces choses n’est plus d’ailleurs à la mode. C’était, il n’y a pas longtemps, le seul argument des hommes forts. Ne pouvant expliquer un phénomène, on le niait. Hier, nos savants niaient le Magnétisme animal qu’ils révèrent aujourd’hui sous le nom d’Hypnotisme; il niaient le forme globulaire de la foudre; ils niaient la chute des aérolithes : des pierres qui tombaient du ciel ! On ne pouvait rien dire de plus sot ! Faut-il rappeler qu’en pleine Académie un membre a nié le Phonographe qu’il entendait, cherchant dans les coins le ventriloque qu’il supposait mystifier la docte compagnie ?

L’an dernier, au mois de mai, le n° 123 du boulevard Voltaire devint subitement une « maison hantée. » Là, presque tous les soirs, vers 11 heures,  des coups frappés avec violence faisaient trembler les murailles, osciller les planchers, vibrer les portes. Des savants — de vrais savants, ceux-là — contrôlèrent les phénomènes et n’en découvrirent pas la cause. La police ne fut pas plus heureuse, mais elle masqua par des explications banales l’insuccès de ses recherches, comme elle avait déjà fait pour les autres « maisons hantées » de la rue du Hanovre, de la rue de Boulogne et de la rue de Bretagne.

Cette année, c’est rue Ducouédic, au n° 38, que se trouve la « maison hantée » qui vient d’exciter la curiosité parisienne, et où nous allons voir des phénomènes d’un autre genre.

Comme chez tous les peuples et dans tous les âges, on a connu des « Maisons hantées ». Il semble que l’antiquité de ces phénomènes et leur concordance prouvent qu’il ne peut pas y avoir eu constamment hallucination chez les témoins, ou mystification de la part de mauvais plaisants. Tous toqués ou tous fumistes ? C’est trop invraisemblable; il faut chercher autre chose.

chambre

Mais, au fait, ces maisons sont-elles réellement « hantées », c’est-à-dire visitées par les Esprits ? Et d’abord, y a t-il des Esprits ? Et ensuite, ces Esprits, ces âmes de trépassés, ont-ils le pouvoir, en certaines circonstances, de se communiquer à nous de façon quelconque ?

Depuis longtemps je m’occupe de ces questions, dont le mystère est attirant. Et je déclare que, dans les nombreux phénomènes spiritiques dont j’ai été témoin, je n’ai pas une fois trouvé la preuve irréfutable d’une opération extra-humaine. Cette déclaration prendra quelque valeur quand j’aurai avoué mon juvénile emballement de la vingtième année pour la théorie d’Allan Kardec, par les livres seulement et avant d’avoir vu un seul phénomène. Mais, à mesure que je les vis, ces phénomènes, que je pus les étudier, les contrôler, ma foi disparut, et j’en arrivai à cette conclusion : 

1° Les phénomènes sont réels.
2° Ils s’exécutent sans l’intervention des Esprits.

Non, les morts ne reviennent pas, et j’en suis désolé. Car cette preuve expérimentale de la perpétuité de l’âme, qui trouble et inquiète les générations nouvelles, nous échappe encore. Deux explications seules nous restent dans les cas de « maisons hantées » : la première, c’est la supercherie, et c’est sur cette piste qu’on doit se mettre d’abord. Il faut, en effet, dans tout problème, commencer par chercher la solution la plus simple.

Est-ce par la supercherie que nous pouvons expliquer les faits étranges du boulevard Voltaire ? Non, aucune trace de mystification n’y a été découverte. Et, pourtant, pendant un mois, tous les locataires apeurés et irrités (sans compter les agents de police) se tenaient aux aguets, prêts à administrer une jolie volée au farceur qu’ils auraient surpris.

Passons à la rue Ducouédic. La masure habitée depuis dix ans par Mme Boll se trouve dans une petite cour, derrière la maison principale. Elle comprend un rez-de-chaussée et un premier étage; le rez-de-chaussée, qui est occupé par Mme Boll, contient deux petites pièces. La pièce d’entrée sert de cuisine et de salle à manger, l’autre est la chambre à coucher où Mme Boll, elle-même, me fait remarquer l’état du mur, humide et sillonné de crevasses sous une couche de peinture marron.

Que la maison soit vieille, qu’elle s’élève sur les catacombes, peu importe pour les phénomènes qui s’y sont montrés, car il ne s’agit plus de coups violents, ébranlant les murailles comme au boulevard Voltaire, mais de faits d’un autre ordre : c’est un saladier épais d’un demi-centimètre qui se casse net en deux moitiés; ce sont les verres, abritant quelques chromolithographies accrochées aux murs, qui se brisent. C’est — une voisine m’affirme l’avoir vu, de ses yeux vu, ce qui s’appelle vu, en plein jour — un verre à boire posé sur le marbre de la commode qui éclate en une poussière impalpable. C’est — un voisin m’apporte aussi son témoignage de visu — un second verre qui, de la commode, va se jeter sur le lit. Voilà des choses étranges, n’est-il pas vrai ?

madame-boll

Mme Boll et les enfants Peut-il, cette fois, y avoir eu supercherie ? Mme Boll est une brave femme, de cervelle bien nette, malgré son grand âge. Des voisins la connaissent depuis vingt ans et la déclarent incapable de toute mystification. Mais, avec elle, habitent un garçonnet et une fillette de 13 et 14 ans, le frère et la sœur, que Mme Boll a élevés et qu’elle garde encore. Tous deux ont une frimousse bien éveillée, bien maligne. Hum ! cet âge est espiègle. Et notre scepticisme a d’abord réservé ses soupçons.

Mais, d’autre part, en plus des affirmations d’apparence très sincère de Mme Boll, n’ai-je pas les déclarations, les témoignages de deux honorables commerçants du quartier ? Et de quel droit les récuserais-je ? Parce que les faits qu’ils exposent sont invraisemblables ? N’est-il pas invraisemblable qu’on ait pu peser la Lune ! Ou, parce que ces faits ne se rapportent pas à d’autres faits connus pouvant servir de base à une explication ? C’est que, précisément, ils s’y rapportent. Ce qu’on appelle un bon médium (un Home, un Slade) produit des phénomènes analogues, en les désirant, en les voulant. Il fait, sans contact, à distance, mouvoir des objets, frapper des coups violents, déplacer des meubles très lourds. W. Crookes a prouvé expérimentalement l’existence de cette force non encore définie, qu’il a dénommée la Force psychique.

Or, n’existerait-il pas des médiums tout à fait inconscients, produisant, sans le vouloir, sans le savoir, ces mêmes phénomènes ? Il en existe, et la preuve, c’est que la médiumnité se révèle presque toujours par un fait qui surprend le médium autant que les témoins. Et ce n’est que par la répétition de faits du même genre que le médium apprend sa médiumnité.

Nous voilà donc arrivés à la seconde explication, à celle que nous croyons être la meilleure : « Les phénomènes sont produits par des personnes douées, sans le savoir, de facultés médianimiques. » Et la nouvelle question est celle-ci : Chercher le médium !

Au boulevard Voltaire, nous n’avions obtenu que des indications vagues sur le médium, homme ou femme, à qui pouvaient être dus les phénomènes; mais, rue Ducouédic, notre petite enquête a fini par nous apprendre que le jeune garçon est somnambule. Nous ne prétendons pas que c’est en état de somnambulisme qu’il a cassé le saladier, brisé les vitres, transporté les verres, ce qui serait absurde; nous voulons dire qu’un somnambule est presque toujours un médium. D’après le savant docteur J. Héricourt, « l’aptitude au somnambulisme est une des conditions les plus favorables de la médiumnité ».

Ici, le médium est donc trouvé, médium inconscient, n’étant pas responsable — ne les sachant pas ne les voulant pas — des actes accomplis à l’aide de cette force encore mystérieuse qui s’extériorise, qui s’échappe de son organisme, de son système nerveux, comme l’Energie électrique se dégage d’une pile ou d’une dynamo.

En définitive, nous restons en présence d’individus rares, doués d’une faculté extraordinaire. Que la Science daigne les observer, les étudier; et elle trouvera, j’en suis convaincu, le problème des manifestations spirites et des « Maisons hantées ».

Emile Desbeaux. 1892.

Gravures :1) La « Maison hantée » de la rue Ducouédic.
               2) Intérieur de la chambre hantée.
               3) Madame Boll.

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