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Les anecdotes
5 janvier 2022

Pour un précurseur oublié

émile-cohl

Emile Cohl

Emile Cohl, qui inventa le dessin animé, vit aujourd’hui dans une gêne voisine de la misère. La nouvelle a été publiée, ces jours derniers, par plusieurs journaux. On l’a lue, parfois avec une douloureuse surprise, mais il ne semble pas qu’elle ait autrement retenu l’attention. On connaît Max Fleischer, Walt Disney, Pat Sullivan, les grands « cartoonists » américains qui ravitaillent nos cinémas en dessins animés, mais le nom d’Emile Cohl est à peu près ignoré. 

Et pourtant c’est bien Emile Cohl qui, le premier, imagina de faire gesticuler sur l’écran des « bons hommes » dessinés. Sa première bande fut projetée en juin 1907 à Paris.  Aujourd’hui, à quatre-vingts ans, Emile Cohl se trouve à peu près sans ressources. 

Emile Cohl — qui avait lâché l’apprentissage de la bijouterie pour vivre de son crayon, ce qui lui va- lut de faire connaissance, dès sa jeunesse, avec le régime de la vache enragée — était un caricaturiste connu quand le hasard l’amena au cinéma. Elève d’André Gill, à qui il avait été présenté par Carjat, il avait collaboré à la Nouvelle Lune, au Charivari, au Courrier Français, à l’Hydropathe et à bien d’autres feuilles spirituelles et éphémères  quand, un beau matin de 1905, flânant par les rues de Montmartre, il aperçut une affiche de cinéma un peu trop manifestement inspirée d’un de ses dessins. 

Le jour même il se rendait chez Gaumont aux fins d’information. Il y fut reçu par Louis Feuillade, qui ne s’occupait pas encore de mise en scène, mais qui occupait déjà dans la maison une place fort importante. On parla. 

Et, quand il sortit, Emile Cohl était attaché, avec des attributions assez confuses, à ce qui devait devenir plus tard le département des scénarios.

Emile Cohl— « Mon travail quotidien terminé, je cherchais… et bientôt, encouragé par mes directeurs, je me mis à confectionner mon premier dessin animé. La besogne était considérable : j’étais seul, bien entendu, je n’employais ni découpages, ni décors et, alors comme aujourd’hui, chaque mètre de pellicule exigeait cinquante-deux images différentes, soit, pour moi, cinquante-deux croquis qui ne différaient les uns des autres que par des nuances quasi imperceptibles. Je mis des mois à venir à bout de mon premier film : il avait 36 mètres et comportait 1.872 dessins. Sous le titre Fantasmagorie, on le projeta au Gymnase — c’était alors un cinéma — en juin 1907. La bande eut du succès et je me mis immédiatement à en fabriquer une seconde. 

« Ce deuxième film, le Cauchemar du Fantoche, ayant été bien accueilli lui aussi, je continuai et, en quatre ans, travaillant successivement pour Gaumont, pour Pathé, pour Eclipse et pour Eclair, passant mes jours et mes nuits entre ma planche à dessin et mon appareil photographique, je composai près de trois cents films, dont le plus long ne revenait pas à plus de 400 francs. Les bénéfices étaient appréciables. 

« Cependant on ne songeait nullement à industrialiser ma production et, en 1912, je fus envoyé aux Etats-Unis. A Fort-Lee, où je m’installai, je m’amusais, entre deux reportages  d’actualité, à faire des dessins animés. Je reçus des visites flatteuses. Des personnalités importantes du cinéma américain vinrent me voir. On s’intéressa à mes travaux, on examina mes appareils, on s’enquit de mes procèdes, on me demanda des  renseignements…

« La guerre m’obligea à quitter les Etats-Unis. J’abandonnai le cinéma mais, quand les premiers dessins animés américains parvinrent en France, je compris que mes démonstrations n’avaient pas été perdues pour tout le monde. 

« Seulement, auprès de qui aurais-je pu protester ? » 

Telle est l’histoire d’Emile Cohl.

Elle rappelle étrangement celle de Georges Méliès, cet autre précurseur du cinéma français, qu’on retrouva un jour, il y a quelque dix ans, tenant un modeste « bazar-à-treize » dans le hall de la gare Montparnasse. 

On a, depuis, rendu justice à  Meliès. C’est bien. 

Mais qu’a-t-on fait pour Emile Cohl ? Il ne demande rien ? Mais c’est peut-être pour cela qu’il faut « faire quelque chose ». 

Messieurs du Cinéma, on vous écoute ! 

L.-R. Dauven. « Ce soir. » Paris,  24 avril 1937.

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