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Les anecdotes
5 janvier 2022

Chute mortelle de l’inventeur Reichelt

françois-reichelt

L’inventeur d’un système de parachute s’est tué le 4 février, en se jetant de la première plate-forme de la tour Eiffel pour expérimenter son appareil. 

M. François Reichelt, sujet autrichien, cherchait depuis longtemps à découvrir un système de protection pour les aviateurs. L’appareil qu’il avait conçu consistait en une sorte de manteau, muni d’un très vaste capuchon de soie. A la volonté de celui qui en était revêtu, ce capuchon devait être mis en état de se déployer sous l’influence de la résistance de l’air, c’est-à-dire en cas de chute rapide. 

C’est au moins ainsi que devait fonctionner, selon M. Reichelt, l’appareil qu’il avait imaginé et la résistance à l’air du capuchon déployé devait être suffisante pour rendre toute chute sans danger. Pourtant, jamais, aux dires de ceux qui assistèrent aux expériences précédemment tentées, le parachute ne fonctionna de façon satisfaisante. A maintes reprises M Reichelt se livra, dans la cour de la maison qu’il habitait, rue Gaillon, à des essais effectués à l’aide d’un mannequin. Toujours ce mannequin tomba dans des conditions qui démontraient ou à peu près que le parachute était sans effet. 

Mais M. Reichelt, était, paraît-il, persuadé qu’il suffirait qu’il prît la place du mannequin  pour que son appareil fonctionnât parfaitement. Cette idée le hantait et c’est pour mettre à exécution son projet qu’il se rendit un matin à la tour Eiffel, où eurent lieu déjà, on le sait, plusieurs expériences de parachute. 

Ayant revêtu, en partant de chez lui, son manteau à capuchon, M. Reichelt arriva à la  tour Eiffel vers huit heures. Quelques spectateurs et photographes s’y trouvaient réunis. A tous, l’inventeur affirma à nouveau la confiance qu’il avait en son appareil. 

Le drame fut rapide. Quelques instants après qu’il eut atteint la plate-forme du premier étage de la tour, située à 57 mètres de hauteur, M. Reichelt monta sur le parapet, fit sauter les « pressions » qui devaient dégager le capuchon, et s’élança dans le vide. Un instant, le parachute sembla se déployer normalement, puis — sous quelle influence ? — se tordit et s’enroula autour du corps du malheureux expérimentateur, qui verticalement, effroyablement vite, arriva au sol, y creusant un trou de quinze centimètres de profondeur. 

La chute n’avait pas duré plus.de quatre secondes. Tout secours était inutile et le corps de M. Reichelt, dont les jambes et la colonne vertébrale étaient brisées, fut transporté au poste de police de la rue Amélie. 

Interviewé le jour même de l’accident, M. René Quinton a déclaré : 

— La mort de M. Reichelt était fatale. J’ignorais qu’il devait expérimenter lui-même ce matin. Si je l’avais su, j’aurais fait le nécessaire pour que l’expérience n’eût pas lieu. Son appareil était sans aucune valeur et ne pouvait que conduire à la catastrophe. 

Vous pourrez vous en faire facilement une idée. Vous savez qu’un parachute, pour porter un homme du poids moyen de 75 kilogrammes, doit avoir cinquante à soixante mètres carrés de surface, une fois déployé. Or, l’appareil de M. Reichelt, tel qu’il le soumit à mon examen, il y a un an et demi, avait quatre mètres de superficie! Je dis bien quatre mètres. Quatre mètres au lieu de soixante! 

rené-quinton

Je lui signalai son erreur. Mais rien ne le convainquit. Un matin, il me rapporta son  appareil à mon dispensaire de la rue d’Ouessant, s’habilla devant moi. Il n’avait pas augmenté d’un mètre la surface de son costume protecteur. Mes observations furent encore vaines. A quelque temps de là, il expérimenta son invention avec un mannequin, du haut de la première plate-forme de la tour Eiffel. Mannequin et parachute, tout tomba comme une masse. M. Hervieu qui assistait à l’expérience chronométra la chute. Elle s’effectua en moins de cinq secondes. C’est-à-dire à la vitesse ordinaire de tout objet pesant qui tombe. Le parachute n’avait pas eu le moindre effet. 

Je revis M. Reichelt plusieurs fois. Chaque fois, je lui rappelai l’erreur fondamentale qu’il commettait. Au concours de sécurité de la Ligue Nationale Aérienne, il y a deux mois, il nous fit revoir son costume. Il en aurait augmenté enfin la superficie. Mais de combien peu ! Le tout pouvait avoir huit à neuf mètres carrés — toujours au lieu de soixante ! 

Eût-il possédé d’ailleurs soixante mètres carrés de surface, le résultat aurait été le même.  Un parachute, pour être efficace, doit faire en quelque sorte parapluie au-dessus du corps dont il ralentit la chute. Le centre de gravité du système doit être placé très bas, comme la nacelle du ballon. 

Or, dans l’appareil de M. Reichelt, le centre de gravité se confondait avec le parachute, puisque le parachute était le vêtement lui-même de l’aviateur. Aucune stabilité ne pouvait donc exister, et je vous le répète, la catastrophe était fatale. 

— Comment expliquer, demandons-nous à M. Quinton, une telle méconnaissance des principes scientifiques les plus élémentaires chez un inventeur ? 

— M. Reichelt n’était pas préparé à ce genre de recherches, nous répond le président de la Ligne Aérienne. C’était un ouvrier tailleur intelligent, mais complètement ignorant des premières données du problème. Nous nous rappellerons sa douce et fine physionomie, et personne plus que nous ne regrettera sa triste fin. Mais il importe qu’on sache bien que sa malheureuse expérience est sans signification aucune au point de vue scientifique. 

Je crois fermement, quant à moi, à la solution du problème de la sécurité, en aviation,  par le parachute. Je demande même en ce moment au ministère de la Guerre une somme de un demi-million pour doter un concours de sécurité, placé sous le contrôle de l’inspection permanente de l’aéronautique militaire. Il ne faudrait pas qu’un accident comme celui d’hier influençât certains esprits. 

« La Revue aérienne. » Paris, 25 février 1912.

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