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Les anecdotes
6 décembre 2021

La poulette-au-bon-Dieu

peggy_nille

Il y a longtemps qu’on a pu dire avec raison, en parlant de l’enfance, que cet âge est sans pitié, surtout pour les pauvres êtres inoffensifs qui, comme le crapaud, le hérisson, les petits oiseaux et certains insectes ailés, semblent plus spécialement visés par les bourreaux imberbes en quête de jouets vivants et de souffre-douleurs. Hérissons condamnés à se débattre et à agoniser dans l’eau, crapauds embrochés et suspendus par une patte, petits oiseaux plumés tout vifs, hannetons enfilés ou cloués sur un carton, libellules froidement désarticulées : tout cela, hélas! un peu partout et depuis toujours, fait partie du programme en quelque sorte obligatoire des distractions enfantines…

Toutefois, certaines créatures privilégiées sont ordinairement exceptées de cette proscription et doivent à leur popularité — presque universelle — non seulement d’être à l’abri de toute cruauté, mais encore de se voir entourer d’un respect quasi religieux. Tel est, par exemple, le joli petit coléoptère que les naturalistes nomment coccinelle et que nous appelions vulgairement la bête à bon Dieu ou la poulette-au-bon-Dieu.

D’après la croyance populaire, trouver une bête à bon Dieu est d’un heureux présage, et lui faire du mal porte malheurs. Aussi les enfants eux-mêmes, si cruels envers la plupart des petits animaux sans défense, ont-ils soin de respecter la gracieuse bestiole. Tel gamin impitoyable, qui passera des heures entières à se repaître des souffrances d’un malheureux hanneton ou à martyriser froidement un pauvre petit pierrot tombé du nid, se gardera bien de faire le moindre mal à la bête à bon Dieu dont il aura réussi à s’emparer : il se contentera de la faite grimper le long de son index ou de la caresser doucement dans le creux de sa main, en attendant qu’elle s’envole.

Tout en caressant la petite bête privilégiée, les enfants du Bocage ont coutume de lui adresser certaines paroles qui ressemblent à une sorte d’incantation plus ou moins superstitieuse, et dont la formule varie suivant les cantons. Voici celle qu’il me souvient d’avoir employée dans mon enfance :

Vole, vole, vole,
Petite bête à bon Dieu ;
Vole, vole, vole
Jusqu’en Paradis.

Une autre formule m’a été signalée naguère, je ne saurais dire par qui. Je la trouve ainsi notée dans mes carnets traditionnistes :

Vole, vole, vole,
Petite bête à bon Dieu.
Vole, vole, vole
Dessus la maison d’école.

Le privilège dont jouit la bête à bon Dieu serait-il un effet de la reconnaissance à laquelle a droit ce petit coléoptère qui, très carnassier, compte parmi les meilleurs destructeurs de pucerons ? C’est possible, mais non certain : car ne manque pas d’autres bestioles qui, bien qu’éminemment utiles comme insectivores, n’en sont pas moins, tous les jours et partout, en butte aux froides cruautés de l’espèce humaine. Le secret de ce privilège me paraît plutôt se rattacher à l’une de ces gracieuses légendes chrétiennes dont bénéficient, surtout depuis le Moyen Age, certains animaux symboliques qui ont ainsi la chance de se faire classer à part et, pour parler comme le bon saint François, d’être admis à se prévaloir du titre de « frères inférieurs ».

D’après une vieille tradition vendéenne, la bête à bon Dieu devrait sa popularité à un touchant épisode de la Passion :

Lorsque Notre-Seigneur, sur le point d’expirer, demanda à boire et qu’un des bourreaux lui présenta une éponge imbibée de fiel et de vinaigre, une coccinelle, qui se trouvait au pied de la Croix, courut bien vite se tremper dans le cours d’eau voisin et s’en revint, à tire d’aile,humecter d’une fraîche goutte les lèvres du divin crucifié. Celui-ci, en reconnaissance, promit à la charitable bestiole qu’elle porterait désormais son nom, et que sa postérité serait bénie dans la suite des âges. Et voilà pourquoi la coccinelle s’appelle la bête à bon Dieu et est respectée de tout le monde, même des enfants les plus cruels; pourquoi aussi sa robe est marquée de taches rouges, produites par le sang tombé du front du Sauveur.

La légende ajoute que si la bête à bon Dieu, lorsqu’on la touche, laisse échapper une liqueur quelque peu nauséabonde, c’est en souvenir du fiel dont elle se souilla en accomplissant son acte de charité, et pour rappeler à l’ordre les oublieux de la promesse divine.

« La Vendée historique. » Luçon, 20 décembre 1908.
Illustration : Peggy Nille.

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