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Les anecdotes
1 décembre 2021

Le spiritisme a la Sorbonne

cazeneuve_marius

Vers la fin de l’Exposition universelle a eu lieu à la Sorbonne une séance de magie et de prestidigitation : c’était en l’honneur des instituteurs que cette soirée était donnée. M. Marius Cazeneuve se proposait de démontrer l’inanité des miracles spirites. Il l’a fait aux applaudissements de la salle entière, et il a atteint son but de la façon la plus démonstrative.

Il parait désormais impossible — quoique depuis la mésaventure des frères Davenport on pût penser que c’était chose faite — de tromper les esprits crédules et d’évoquer devant nos yeux les âmes des morts, ces âmes dont la nature est justement incorporelle, et, par conséquent, n’a point de forme. Mais les spirites ne se laissent pas arrêter pour si peu !

M. Cazeneuve a ouvert la séance par un speech dans lequel il remerciait M. le ministre de l’instruction publique de lui avoir accordé l’autorisation de donner une séance en l’honneur de MM. les instituteurs, les éducateurs de la jeunesse de France. Son but était de faire une guerre sans merci à la superstition, en prouvant le charlatanisme des soi-disant spirites, qui avaient le don d’évoquer les esprits. Son expérience était concluante en ce qu’elle prouvait que l’adresse, sans autre moyen occulte, pouvait dans des circonstances cherchées, telles que l’obscurité, des effets d’optique, etc., frapper les esprits faibles et souvent amener de tristes résultats.

Puis M. Cazeneuve a commencé son expérience en priant MM. les instituteurs de déléguer plusieurs d’entre eux pour contrôler de près ses faits et gestes.

On avait établi sur une petite estrade une espèce de cabine fermée par des rideaux, qui remplaçait l’armoire traditionnelle des médiums. M. Cazeneuve prit alors une chaise; après s’être fait lier les mains avec des bandes de toile, les manchettes cousues aux bandes, on posa cette chaise dans la cabine sur une planche à poteau, on fixa sa tête par un anneau, et on attacha ses pieds au moyen de cordes adhérentes à la planche. De plus, on mit une pièce de monnaie sur chacun de ses pieds.

Ainsi lié, il ne pouvait faire aucun mouvement. On ferma alors le rideau, et on entendit instamment le bruit de sonnettes agitées, le roulement d’un tambour, la sonnette d’un clairon.

On ouvrit le rideau, et on trouva M. Cazeneuve dans la situation dans laquelle on venait de l’enfermer. Il demanda ensuite un nom et un chiffre. On lui donna Chrysostome et 37,422, qui, peu d’instants après, furent reproduits sur une ardoise. A ce moment, MM. les instituteurs, très incrédules, émirent l’idée d’un compérage. Alors M. Cazeneuve pria de nouveaux délégués de venir constater que leurs collègues n’étaient pas encore devenus compères.

On referma le rideau, et successivement il découpa en dentelles une feuille de papier et roula une cigarette qu’il se mit à fumer. L’étonnement augmenta lorsqu’il pria un de ces messieurs de vouloir bien venir s’asseoir à côté de lui, les yeux bandés, dans la chambre obscure. Aussitôt un instituteur se présenta et fut introduit dans la cabine. Quelques secondes se passèrent, et on entendit des coups de pistolet.

Que s’était-il passé ? On ouvrit, anxieux, le rideau, et on trouva le délégué en manches de chemise, et M. Cazeneuve était toujours arrimé à sa chaise et au poteau.

La stupéfaction remplaça l’étonnement, et MM. les instituteurs exigèrent de leur collègue, qui dut justifier de son identité, le récit de ce qu’il venait d’éprouver. M. Cazeneuve, en quelques mots, donna l’explication de ces émotions, en disant qu’il avait dû sentir sur son corps et sur son visage des attouchements de mains chaudes et froides, qui lui avaient enlevé sa montre dans la poche de son gilet et retiré sa redingote.

M. l’instituteur confirma le dire de M. Cazeneuve, qui, harassé de fatigue, termina la première partie de la séance en affirmant à nouveau que tous les faits qui venaient de se produire, aussi extraordinaires qu’ils pussent paraître, n’étaient dus qu’a son habileté, sans le concours d’aucune puissance spirite.

Après quelques minutes, M. Cazeneuve enthousiasma son auditoire par une série de tours de cartes fantastiques, et MM. les instituteurs, émerveillés de sa dextérité, le quittèrent charmés de l’excellente soirée qu’ils lui devaient.

« Almanach de France et du Musée des familles. » Paris, 1880.
Peinture : Marius Cazeneuve par Pierre Yrondi.

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