Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les anecdotes
22 novembre 2021

L'araignée-sac

araignée-sac

Après avoir loué magnifiquement l’intelligence, l’esprit et le savoir d’une foule d’insectes, Michelet distingue hautement la fourmi, l’abeille et l’araignée, auxquelles il reconnaît du Génie. Certes, l’araignée-Sac, si joliment décrite par Jonathan Franklin dans sa Vie des Animaux, mérite de justifier l’opinion de Michelet.

Dans ce monde si curieux des araignées, il faut bien reconnaître que, si tout le monde est savant personne n’est beau. A cette règle affligeante fait exception l’araignée-Sac. Elle n’est point laide du tout, et l’on ne peut guère lui reprocher que la proverbiale maigreur de sa race. Sa robe changeante est tour à tour gris-perle et bronzée à moins que, dotée par la nature d’un mimétisme protecteur, elle ne prenne — sauvegarde infaillible — la couleur du milieu où elle se trouve.

Cette araignée est vive, alerte et mignonne, d’humeur gaie, de mœurs douces, un peu étourdie. Elle n’a pas plus de poil que dans la main, et vous pouvez la rencontrer chaque matin, sans qu’elle vous présage le moindre chagrin… Elle est grosse comme une petite perle et ses grandes jambes effilées — des aiguilles — ont l’air de faire la roue en marchant. Ses petits yeux — deux points noirs ! — sont pleins de vivacité et de finesse, j’allais dire d’esprit. Elle choisit délicatement le moucheron qu’elle savoure, et file cent fois plus vite que la Reine Berthe.

Il n’y a pas d’artiste plus habile et plus fin, de mère plus tendrement dévouée et plus étrangement outillée que cette sympathique et ingénieuse bestiole. L’araignée-Sac est peut-être le membre le plus intéressant et le plus distingué de cette grande famille d’artistes et de savants, de merveilleux ouvriers, tapissiers, chimistes, physiciens, géomètres, architectes, tisserands, ingénieurs, maçons.

Sur ses épaules, cette étonnante araignée porte un sac ou si vous aimez mieux une bourse de soie, d’une solidité parfaite et d’un travail exquis, qu’elle a filée avec un soin extrême, avec une sollicitude toute maternelle. Cette bourse de satin, si fine et si légère, est parfaitement mobile et indépendante de l’araignée. Ce n’est plus la poche de la sarigue ou du kangourou faisant corps avec son propriétaire, Mais cette bourse, un prodige, quitte bien rarement l’araignée qui va et vient, file, chasse, se promène, mange et dort, sa bourse sur le dos. Mais que de précautions constantes et infinies prodiguées a ce précieux tissu, chef-d’oeuvre mignon de fuseaux magiques.

Savez-vous maintenant ce qu’il y a dans cette bourse ? une chose certainement plus précieuse que l’argent et l’or… Il y a les œufs de l’araignée. Elle porte sa postérité dans un sac Cette bourse de soie renferme, trésor incomparable, l’avenir de sa race.

Parfois, mais c’est rare, il lui arrive de laisser tomber sa bourse ou de l’oublier entre deux brins d’herbe pour guetter un insecte, tendre un piège, ourdir une toile, éviter un péril, écouter le bruissement des feuilles, les plaintes harmonieuses du vent ou le chant mélodieux des grillons. C’est qu’elle est poétique, la petite araignée à sac, et de là, sans doute, lui vient son étourderie. Lorsqu’elle a perdu sa bourse, il est vraiment curieux, il est touchant d’assister à ses recherches inquiètes et passionnées, à ses allées, à ses venues, à ses départs, à ses retours, à son empressement désolé, à son trouble, à ses angoisses, à sa douleur. Comme elle a l’air confuse et navrée, la pauvre ! Comme elle a l’air de regretter, de maudire ce coupable instant de folle distraction et d’oubli maternel ?

Elle court, elle bondit sur ses grandes jambes, s’arrête haletante et désespérée, reprend sa course folle, passe et repasse, cherche de tous côtés, dans tous les coins, sa bourse de soie, ses œufs perdus : « Où est ma bourse ? ma chère petite bourse ? »… Enfin le trésor est retrouvé ! une joie extravagante succède aux mortelles inquiétudes et l’araignée, après tant d’émotions douloureuses et d’affreuses angoisses, continue son chemin, son doux fardeau sur l’épaule. Elle s’en va d’un pas rapide et fier, portant comme Bias tout avec elle et semblant dire : « J’ai le sac, maintenant; la grande race des Araignées ne périra pas ! »

Parfois, il lui arrive de suspendre dans un coin caché de sa demeure aérienne, la bourse qui contient ses œufs et de la défendre contre de cruels assaillants jusqu’au dernier soupir. Ou la trouve morte sur ce bissac maternel, étreignant de ses grandes pattes la petite valise, espoir sacré de sa race.

Voici maintenant un autre tableau qui se prépare, aussi touchant que curieux.

Les enfants viennent au monde il y en a cinquante, il y en a cent, il y en a deux cents. Et les voilà tous qui se cramponnent après leur mère convertie en berceau vivant. Tout cela fourmille et grouille que c’est une bénédiction, se promène et dort, vit, grandit, prospère sur le corps maternel; et sous ce poids familial qui lui est doux et léger, l’araignée toujours alerte et vive, ne bronche jamais.

Son innombrable famille sur le dos. elle vaque à ses affaires, à ses besoins, à ses habitudes, à ses devoirs, à ses plaisirs. C’est à peine si, de temps à autre, elle étire une longue jambe fatiguée Regardez comme elle s’avance, guillerette et fière, cette mère féconde dont la famille est une armée.

Lorsqu’un danger survient, tous les enfants, sagement instruits à la prudence, décampent comme une simple araignée. La progéniture entière dégringole, s’enfuit, se cache sous une pierre, disparaît dans une touffe d’herbe ou dans le creux d’un arbre. Mais aussitôt que tout péril a cessé, les petites araignées accourent, une à une, formant une sorte de procession pittoresque et mignonne et, joyeusement, grimpent qui sur l’échine, qui sur le dos, qui sur la tête, de leur bonne mère, et l’araignée-sac, allongeant la patte, rentre au logis, ses cent enfants sur son corps alerte et rapide. Où peut on être mieux qu’au sein de sa famille ?

L’araignée ! incomprise, abhorrée, on l’écrase d’un coup de talon ou bien l’on crève sa toile merveilleuse d’un coup de balai.

Quant à moi, je me sens porté vers cet admirable insecte parce que tous s’en éloignent, et je me prends à l’aimer non seulement à cause de son dévouement familial et de son génie, mais à cause même de l’injustice de l’homme, du préjugé qui le poursuit, de l’aversion qu’il inspire et des dédains qui l’accablent.

Fulbert-Dumonteil. « Le Chenil. » Paris, 15 décembre 1904.

Publicité
Publicité
Commentaires
Les anecdotes
Publicité
Les anecdotes
Newsletter
2 abonnés
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 9 156
Archives
Publicité